quefou et saint, c’est la mĂȘme chose . Mais, profĂ©rĂ©e par Lacan, cette formule met aussi, implicitement, le psychanalyste dans la sĂ©rie. Que le fou rie, d’accord, mais que le saint rie, c’est dĂ©jĂ  moins Ă©vident, mais, Lacan s’en explique dans TĂ©lĂ©vision, on le verra tout Ă  l’heure, le saint se moque des conv enances et de la justice distributiv e. Cette Ă©quivalence que Nous avons le plaisir de commencer aujourd’hui la publication de plusieurs confĂ©rences tenues lors d’un colloque sur “Narratifs religieux alternatifs et formes de dĂ©viation sociale” 14 juillet 2022. Ce colloque Ă©tait la premiĂšre manifestation scientifique du RFR, Ă©quipe internationale de spĂ©cialistes qui travaille sur la rĂ©surgence du fait religieux. Au total, 5 confĂ©rences ont Ă©tĂ© donnĂ©es dans ce cadre 3 en français et 2 en anglais. Nous commencerons par la confĂ©rence du Dr RaphaĂ«lle Auclert, organisatrice de ce colloque et enseignante-chercheuse Ă  l’ICES L’Ordre du Temple Solaire ou la nostalgie des chevaliers sans croisade Transcription RaphaĂ«lle AUCLERT L’Ordre du Temple Solaire ou la nostalgie des chevaliers sans croisade Je me rends compte qu’il y a un certain nombre de parallĂšles avec beaucoup des interventions que nous avons entendues. J’y reviendrai donc. L’Ordre du Temple solaire s’est fait tragiquement connaĂźtre dans la dĂ©cennie 1990, avec cinq suicides collectifs ou supposĂ©s tels, nous y reviendrons, survenus au Canada, en Suisse et en France. Comme souvent dans ces cas-lĂ , les journalistes dĂ©plorent la folie furieuse d’une secte d’illuminĂ©s dont les croyances Ă©sotĂ©riques les ont menĂ©s Ă  une issue fatale. Cela est certain. À cet Ă©gard, il est intĂ©ressant de relever les traits caractĂ©ristiques de ce groupuscule qui sont communs aux autres sectes, Ă  savoir un gourou, une doctrine Ă©sotĂ©rique, la soustraction des adeptes Ă  leurs liens sociaux, des pressions psychologiques, des manipulations et l’extorsion d’importantes sommes d’argent. NĂ©anmoins, l’OTS se distingue d’autres sectes en ce qu’elle est un ordre dit de chevalerie initiatique qui renvoie Ă  un univers imaginaire singulier, rĂ©vĂ©lateur d’une certaine demande dans cette foire aux spiritualitĂ©s que nous connaissons aujourd’hui. Dans cette communication, nous nous pencherons donc sur l’historique et les protagonistes de l’OTS. Mais il sera aussi intĂ©ressant de le replacer dans le phĂ©nomĂšne plus large des sectes de nos sociĂ©tĂ©s postmodernes. Ces derniĂšres sont marquĂ©es par un vide religieux. C’est un aspect qui Ă©tait Ă©voquĂ© par Konstantine Popkov, c’est Ă  dire la quĂȘte de sens et Ă©galement un dĂ©sespoir profond qui poussent certains Ă  se jeter Ă  corps perdu, c’est le cas de le dire, dans des aventures parfois funestes. Nous interrogerons ce qu’elles nous disent des mentalitĂ©s contemporaines, de notre rapport aux idĂ©ologies, de notre rejet de celles-ci suite aux catastrophes qu’elles ont causĂ©es au XXᔉ siĂšcle, mais aussi de notre besoin social et vital d’adhĂ©rer Ă  un projet commun, toujours nĂ©cessairement un peu utopique, de notre besoin de croire et d’ĂȘtre reliĂ©s par les mĂȘmes croyances. VoilĂ  les questions que nous soulĂšverons et auxquelles nous tenterons d’apporter une rĂ©ponse. Historique de l’OTS La secte a Ă©tĂ© fondĂ©e en 1984 par Joseph Di Mambro. Cet ancien bijoutier a Ă©tĂ© condamnĂ© pour escroquerie et il s’intĂ©resse Ă  partir des annĂ©es 1950 au spiritisme. Il a frĂ©quentĂ© un groupement gaulliste et proche de Charles Pasqua. Le deuxiĂšme fondateur est Luc Jouret, nĂ© en 1947, mĂ©decin belge spĂ©cialisĂ© dans l’homĂ©opathie. Un an avant, en 1983, ce dernier avait pris la succession de Julien Origas, grand maĂźtre de l’Ordre rĂ©novĂ© du Temple, ou ORT, créé par d’anciens rosicruciens. Mais il en est rapidement expulsĂ©, ce qui l’amĂšne donc Ă  fonder l’Ordre du Temple solaire avec Joseph Di Mambro et Ă©galement un autre protagoniste qui s’appelle Michel Tabachnik, nĂ© en 1942, qui lui-mĂȘme est compositeur et chef d’orchestre suisse et qui sera le thĂ©oricien du mouvement. Di Mambro et Jouret en seront les deux chefs. Di Mambro s’occupant plus spĂ©cialement des finances et de l’organisation et Jouret du recrutement, notamment Ă  l’occasion des confĂ©rences qu’il donnait dans de nombreuses villes en Europe et au Canada sur les mĂ©decines douces, l’harmonie du corps et de l’esprit, la place de l’homme dans l’univers, et c. LĂ  le problĂšme Ă©voquĂ© par un intervenant prĂ©cĂ©dent de la frontiĂšre souvent floue entre les centres d’intĂ©rĂȘts, les activitĂ©s de loisirs et le bien-ĂȘtre et les dĂ©rives sectaires. Et lĂ , la frontiĂšre Ă©tait extrĂȘmement floue et malheureusement beaucoup de gens sont tombĂ©s dans ce piĂšge. Donc, concernant le fonctionnement de l’Ordre du Temple solaire, il a comptĂ© plus de 600 adeptes instruits et influents. Donc oui, ce qui est intĂ©ressant, c’est que c’est une secte qui recrute souvent dans des classes socioprofessionnelles assez Ă©levĂ©es. Elle recrutait parmi des notables et des personnes fortunĂ©es. Luc Jouret serait parvenu Ă  noyauter Hydro-QuĂ©bec et Ă  recruter un maire quĂ©bĂ©cois ainsi que des membres de la famille Vuarnet, qui Ă©tait un champion de ski trĂšs en vue dans le monde du sport et de la mode. Concernant le corpus doctrinal de la secte, il est exposĂ© dans Les ArchĂ©es, un texte Ă©tabli par Michel Tabachnik. Le but Ă©tait de former une chaĂźne de fraternitĂ© dans le monde, de reconnaĂźtre et rassembler une Ă©lite spirituelle pour perpĂ©tuer la Conscience avec un grand C, la Conscience unique et la vie dans le temps et l’espace, et Ă©difier Ă©galement des centres de vie appuyĂ©s par des mises en scĂšne, des hologrammes assez primitifs mais qui faisaient forte impression sur les adeptes, par exemple des mises en scĂšne avec Excalibur, le Saint-Graal ou le Christ. Il Ă©tait question aussi de grands maĂźtres rĂ©sidant sur l’étoile Sirius, qui communiquaient avec le gourou Joseph Di Mambro. Ils devaient guider l’humanitĂ© vers l’éveil spirituel et lui indiquer le moment du dĂ©part vers Sirius. On note les spĂ©cificitĂ©s de cette doctrine c’est un discours apocalyptique et millĂ©nariste offrant un projet collectif et la dĂ©fense d’un idĂ©al chevaleresque et de noblesse spirituelle requĂ©rant un parcours initiatique des adeptes. Nous y reviendrons. Effectivement, on reconnaĂźt tous ces aspects de quĂȘte de sens Ă©voquĂ©s par Constantine Popkov dans les exigences, les besoins formulĂ©s par les adeptes. Mais on reste quand mĂȘme Ă  Ă©chelle artisanale. On n’est pas dans des ramifications internationales. NĂ©anmoins, les profits Ă©taient assez importants. Mais malheureusement, les choses ont tournĂ© rapidement au vinaigre puisqu’au dĂ©but des annĂ©es 1990 a eu lieu l’arrestation de Luc Jouret car il voulait se procurer des armes Ă  feu. On l’a mĂȘme soupçonnĂ© d’ĂȘtre liĂ© Ă  des trafics d’armes avec l’Afrique, notamment avec Charles Pasqua. Cet Ă©vĂ©nement suscita la panique dans l’Ordre et une contestation interne, certains membres reprochant aux gourous leur comportement tyrannique et extrĂȘmement avide Ă  demander constamment plus d’argent. Les massacres Les gourous prennent alors la dĂ©cision d’effectuer le transit vers Sirius, , et ce transit s’effectuait en se donnant la mort. Cela se produisit le 30 septembre 1994. Cinq personnes se donnĂšrent la mort dans un chalet de Morin-Heights, au QuĂ©bec. C’était encore Ă  une petite Ă©chelle. Puis, le 5 octobre, une semaine plus tard, 25 personnes sont retrouvĂ©es mortes par injection Ă  Salvan, en Suisse. 23 autres, au mĂȘme moment sont retrouvĂ©es mortes Ă  Cheiry, dans un chalet incendiĂ© par un systĂšme de mise Ă  feu. Ensuite, un an aprĂšs, Ă  la veille de NoĂ«l, le 23 dĂ©cembre 1995, seize personnes pĂ©rissent dans l’incendie d’une clairiĂšre du Vercors et plus tard Ă  Saint-Casimir, dans le sud de la France aussi, cinq personnes se donnent la mort, ce qui fait un total de 74 victimes. Certains membres ont mĂȘme Ă©tĂ© convoquĂ©s Ă  la veille du massacre de Salvan pour atteindre un chiffre dit symbolique, en rĂ©fĂ©rence aux 54 chevaliers de l’Ordre du Temple exĂ©cutĂ©s sur le bĂ»cher le 18 mars 1314. Mais ils auraient pressenti un danger et auraient dĂ©clinĂ© la demande des gourous de se rendre sur place. Alors, en ce qui concerne les causes, plusieurs pistes sont Ă©tudiĂ©es. On Ă©voque donc ces dissensions internes ou bien celle d’une mafia liĂ©e au rĂ©seau Pasqua qui pratiquait des trafics d’armes. Des tĂ©moins affirment que certains coupables auraient Ă©chappĂ© Ă  la justice. AprĂšs les massacres savamment mis en scĂšne, et notamment donc, le gourou Michel Tabachnik a finalement Ă©tĂ© relaxĂ©, aucune preuve n’ayant Ă©tĂ© retenue contre lui. Bien qu’il ait composĂ© la doctrine, on ne peut pas le tenir responsable des massacres. Donc beaucoup de questions se posent sur les recettes. En fait, on ne sait pas. Beaucoup sont morts, mais on ne sait pas oĂč est passĂ© l’argent de la secte. L’OTS et les sectes Si on remet un petit peu l’OTS dans une perspective plus large des sectes, comme le souligne M. ChĂ©ry dans son ouvrage L’offensive des sectes » datĂ©e de 1959, les sectes se sont multipliĂ©es dans la seconde moitiĂ© du XXᔉ siĂšcle dans le contexte d’une diversitĂ© culturelle et religieuse apparue dans les annĂ©es 1960. Jean Vernette, un autre auteur spĂ©cialiste du sujet, se penche, quant Ă  lui, dans son livre de la collection Que sais je? » consacrĂ© aux sectes, sur ce qu’il appelle une rupture de la filiation. Je m’explique. Selon lui, je cite l’obĂ©issance ne structure plus la vie sociale et religieuse. En revanche, la disparition de l’obĂ©issance dans la sphĂšre sociale est compensĂ©e, mĂȘme des fois dĂ©multipliĂ©e dans le cadre rigide et contraignant de la secte ». Jean Vernette explique que, je cite La vĂ©ritĂ© religieuse n’est plus le fruit d’un don mais d’une quĂȘte personnelle », fin de citation. Et c’est ce qu’on retrouve par des voyages, que ce soit des voyages physiques avec des gens qui partent souvent en Inde ou dans les pays d’Orient, ou bien des voyages intĂ©rieurs par la recherche de nouvelles spiritualitĂ©s, par l’étude de textes rosicruciens ou martinistes, parfois au moyen de substances hallucinogĂšnes. Ce qui lui fait poser le diagnostic de l’existence d’une fracture de l’écorce culturelle de la planĂšte occidentale », c’est-Ă -dire, effectivement, le lien de filiation est rompu et on se trouve avec des sujets qui sont en quĂȘte de sens et qui essaient de s’imprĂ©gner de diverses doctrines sans les hĂ©riter de leurs ancĂȘtres. Dans son article La dissociĂ©tĂ© » datĂ© de 1938, Marcel de Corte oppose la sociĂ©tĂ© traditionnelle structurĂ©e en trois ordres, donc ceux qui contemplent, ceux qui agissent et ceux qui font. C’est-Ă -dire, ceux qui contemplent – c’est le clergĂ©, l’aristocratie sont ceux qui agissent, et ceux qui font soit ceux qui produisent, c’est le Tiers Etat. Et donc il oppose cet ordre, cette structuration traditionnelle Ă  la sociĂ©tĂ© moderne, marquĂ©e par un individualisme dissociateur oĂč l’homme est rĂ©duit de l’état d’animal politique Ă  celui de bĂȘte de troupeau. Dans son court essai, il expose donc sa philosophie de la crise de la sociĂ©tĂ© moderne et de son issue. Ainsi, les sectes sembleraient le remĂšde Ă  cette sociĂ©tĂ© fragmentĂ©e et en quĂȘte de sens qui a perdu sa cohĂ©sion et son harmonie originelle. Dans cette perspective, l’OTS serait donc un exemple tragique de cette aspiration Ă  des narratifs communs, Ă  des Ă©popĂ©es chevaleresques semblables Ă  celles des croisades, capables d’élever l’humanitĂ© au-dessus de sa condition matĂ©rielle et plus gĂ©nĂ©ralement du matĂ©rialisme dominant dans un monde globalisĂ© et soumis Ă  la marchandisation de tout et de tous. En outre, il est rĂ©vĂ©lateur que les membres aient Ă©tĂ© des notables et des personnes fortunĂ©es, que visiblement la richesse et la renommĂ©e n’avait pas rendus heureux ni satisfaits de leur vie. Conclusion Pour terminer, je pourrais remĂ©morer l’adage pascalien L’homme n’est ni ange ni bĂȘte et qui veut faire l’ange fait la bĂȘte. » La sociĂ©tĂ© marchande postmoderne, Ă  force de vouloir tuer les religions et le religieux au sens large sous la forme des idĂ©ologies, n’a-t-elle pas ignorĂ© inconsidĂ©rĂ©ment cet adage en voulant faire des hommes une sorte de bĂ©tail, de consommateurs privĂ©s d’aspirations spirituelles ? Et les sectes, Ă  l’inverse, ne tendent-t-elle pas Ă  Ă©garer leurs adeptes dans des illusions Ă©thĂ©rĂ©es et coupĂ©es de la sociĂ©tĂ© organique et vivante, au risque de mener finalement Ă  des carnages sanglants comme celui de l’OTS ? Les sectes semblent donc jouer le rĂŽle de cellules intermĂ©diaires de nos sociĂ©tĂ©s contemporaines qui rĂ©sument et questionnent Ă  la fois leurs failles et leurs contradictions. A l’avenir, est-ce que cette tendance Ă  l’éclosion de sectes, ces mini-idĂ©ologies ou idĂ©ologies de chambre amorcĂ©es dans le second XXᔉ siĂšcle, persistera-t-elle au XXᔉ siĂšcle ? Et si oui, sous quelle forme ? Par exemple, les rĂ©seaux sociaux, qui sont bien souvent, surtout en ces temps de confinement, le seul lien des individus avec le monde extĂ©rieur, avec leur structuration en groupes, leurs valeurs, leurs leaders d’opinion et leurs rituels de bannissement, ou ce qu’il est convenu d’appeler les enfreintes aux rĂšgles de la communauté», ne sont-ils pas les nouveaux avatars des sectes ? Les dĂ©cennies prochaines nous le diront. Je vous remercie de votre attention. Anton Kozlov [001340] Merci,est-ce qu’il y a des questions pour RaphaĂ«lle Auclert ? Un intervenant Moi, j’en aurai une. Ma question, RaphaĂ«lle, votre intervention sur l’Ordre du Temple solaire avec, comment dire, des signes annonciateurs des catastrophes, au Canada et en Suisse en particulier me fait penser que c’est un Ă©chec Ă©norme au point de vue de la prĂ©vention du risque sectaire, c’est mĂȘme un cas d’école. Qu’est ce qui nous manque ? Qu’est-ce qu’il aurait fallu faire ? Qu’est-ce qui n’a pas Ă©tĂ© fait pour qu’on en soit arrivĂ© lĂ  ? Je pense que vous avez dĂ» y penser en travaillant sur ce mouvement-lĂ . On est obligĂ© de se poser la question parce que lĂ , c’est presqu’une caricature. RaphaĂ«lle Auclert Oui, c’est vrai. Mais peut-ĂȘtre que les organisations telles que la vĂŽtre n’étaient pas encore assez dĂ©veloppĂ©es et il n’y avait pas encore assez d’informations sur les sectes. Mais c’est vrai que c’est un Ă©chec cuisant, je suis bien d’accord avec vous. C’est la dĂ©faillance de la sociĂ©tĂ© elle-mĂȘme. Pourquoi leurs proches n’ont-ils pas rĂ©ussi Ă  pressentir la gravitĂ© de la situation ? C’est surprenant aussi. Anton Kozlov Et du cĂŽtĂ© institutionnel surtout, parce que lĂ , on est plus au niveau des associations. LĂ , ce sont des moyens de police qui sont nĂ©cessaires pour traiter ce genre de situation. RaphaĂ«lle Auclert Je pense que, par exemple, la police et la gendarmerie n’étaient pas prĂȘtes Ă  ce genre de tragĂ©dies. C’était inĂ©dit, en fait, ces massacres, ils n’étaient pas prĂȘts Ă  ce que ça arrive. Je pense qu’il y a aussi ça. Il y avait un manque de structures. Mais c’est vrai que tant que cela n’était pas arrivĂ©, ce n’était pas imaginable. C’est un petit peu comme les massacres de masse dans les Ă©coles aux États-Unis. Dieu merci, pour l’instant on en est Ă©pargnĂ© en France. Mais c’est vrai que si cela se produisait un jour en France, effectivement, il faudrait mettre en place les structures adaptĂ©es. A ma connaissance, il n’y a pas eu de nouveaux massacres de masse de sectes en France. Donc, j’ai l’impression quand-mĂȘme que des mesures ont Ă©tĂ© prises pour Ă©viter ces carnages. Oui. Olivier Rouot, vous avez une question ? Olivier Rouot Je vais vous faire part d’un commentaire. Il me semble que le problĂšme est trĂšs largement en amont de la protection de la population contre les sectes ou de l’étude prĂ©ventive du phĂ©nomĂšne sectaire. La prĂ©vention, elle aurait dĂ» se faire dĂ©jĂ  Ă  l’école. Notre sociĂ©tĂ© se dĂ©christianise, ce que nous vivons maintenant, de nombreux interlocuteurs d’aujourd’hui l’ont dit sous une forme ou sous une autre. La nature a horreur du vide et des gens dĂ©sĂ©quilibrĂ©s et mal informĂ©s remplacent, remplissent ce vide comme ils le peuvent. En rĂ©alitĂ©, lutter contre les sectes, c’est remettre en ordre notre sociĂ©tĂ©. RaphaĂ«lle Auclert [001716] Oui, tout Ă  fait. C’est ce que prĂ©conisait Constantine Popkov, c’est Ă  dire que cela n’arriverait pas s’il existait de vĂ©ritables valeurs fiables dans notre sociĂ©tĂ© et pratiquĂ©es par tout le monde. VoilĂ , ça couperait l’herbe sous le pied des sectes. Alors, pour ceux qui sont catholiques, effectivement, ils sont plus favorables au retour du catholicisme en France. Anton Kozlov Je dirais mĂȘme des chrĂ©tiens en fait, oui, mĂȘme des chrĂ©tiens. Un intervenant J’ai tout de mĂȘme l’impression qu’ils ne sont pas loin de devenir minoritaires, si j’en crois les quelques chiffres ou sondages que j’ai vu apparaĂźtre çà et lĂ . Ce qui veut dire que les valeurs, je dirais, ont le risque d’avoir beaucoup changĂ© depuis 50 ans. Sauf que lĂ , nous sommes confrontĂ©s Ă  un monde nouveau, un monde Ă  la fois de libertĂ© et la libertĂ© a son prix. La libertĂ©, elle peut amener jusqu’aux excĂšs qu’on peut voir dans les groupes sectaires. Ou mĂȘme, je dirais au radicalisme, qui semble ĂȘtre en forte hausse non seulement dans le monde religieux, mais aussi dans le monde politique. Je dirais il y a une tendance Ă  la radicalitĂ© actuellement. RaphaĂ«lle Auclert Oui, tout Ă  fait. Anton Kozlov D’autres questions. Bon, s’il n’y a plus de questions, je pense que nous avons fait un tour de nos participants. Tout le monde a pu s’exprimer, donc je pense que notre confĂ©rence est terminĂ©e. Vous voulez ajouter quelque chose ? RaphaĂ«lle Auclert Oui, on pourrait conclure effectivement sur cette tendance Ă  la radicalisation, qui peut paraĂźtre paradoxale quand on voit une baisse des pratiques religieuses, des religions traditionnelles en Europe. Mais malgrĂ© tout, sans doute, cette baisse crĂ©e un appel d’air et la nature humaine crĂ©e aussi un appel d’air qui nĂ©cessite le fleurissement de toutes ces sectes. Et, pour conclure, moi je dirais qu’effectivement la seule solution pour lutter contre les sectes, ce n’est pas de lutter contre elle finalement, c’est de construire une sociĂ©tĂ© plus harmonieuse en essayant de renforcer la sociĂ©tĂ©. Ce serait, je pense le meilleur remĂšde en fait, puisque la secte n’est que le miroir des dĂ©faillances de notre sociĂ©tĂ©. AprĂšs, cette situation est exploitĂ©e par tous les groupuscules possibles qui veulent en tirer un bĂ©nĂ©fice matĂ©riel, un prestige, un capital symbolique. Mais Ă©galement, comme nous l’a montrĂ© Maxime Perrotin, des avantages extrĂȘmement matĂ©riels et extrĂȘmement sonnants et trĂ©buchants, Ă©conomiques. Effectivement, je pense que le meilleur combat contre cela est d’abord un combat spirituel. Oui, je vois, Gilbert, vous voulez poser une question ? Allez-y. Un autre intervenant Oui. Bonjour. Je suis le PrĂ©sident du RĂ©seau parental Europe. RaphaĂ«lle Auclert Merci de nous avoir rejoints. L’intervenant Pour avoir travaillĂ© dans plusieurs pays de l’Union europĂ©enne sur cette problĂ©matique depuis 1999, je tiens Ă  dire que la France est lĂ©gĂšrement, voire complĂštement en retard par rapport Ă  d’autres pays en matiĂšre de lutte et de prĂ©vention sur la radicalisation. Mais pas seulement la radicalisation de l’islam. Nous allons avoir de plus en plus de problĂšmes. À l’instar d’Anders Breivik, le terroriste norvĂ©gien qui mĂ©lange aussi bien pseudo-spiritualitĂ© chrĂ©tienne avec Ă©sotĂ©risme et maçonnerie puisque Anders Breivik faisait partie du rite Memphis MisraĂŻm. Ce genre de syncrĂ©tisme est peut-ĂȘtre la raison pour laquelle nos autoritĂ©s n’ont pas rĂ©ellement ni voulu ni pu lutter contre les dĂ©rives sectaires en France. VoilĂ . RaphaĂ«lle Auclert Merci beaucoup pour cet Ă©claircissement. Est-ce que quelqu’un veut ajouter quelque chose ? Un intervenant Moi je dirais quand-mĂȘme que c’est un peu abusif de dire que les autoritĂ©s françaises n’ont pas voulu ou pu lutter contre les sectes. C’est sĂ»r que personne n’a jamais fait tout ce qu’il fallait, mais quand-mĂȘme, regardez ce qui se passe ailleurs, on est pas si mal que ça, mĂȘme si on est loin d’ĂȘtre parfaits. L’intervenant prĂ©cĂ©dent La semaine derniĂšre, il y a eu un raid de la Guardia Civil sur une secte soupçonnĂ©e, uniquement soupçonnĂ© d’abus sexuels sur mineurs. Il y a eu quinze arrestations et la Guardia civil est descendue en force en France. OĂč est-ce que tu as entendu parler d’une affaire similaire Ă  Paris depuis quinze ans ? C’est sĂ»r, mais faut tomber sur de bons flags. Bon alors je tire mon chapeau Ă  la Guardia Civil espagnole quand mĂȘme. RaphaĂ«lle Auclert Entendu, merci et merci Ă  tous pour ces riches dĂ©bats.
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typiquementdĂ©lirant, tantĂŽt dĂ©clarant que le fou c’est l’homme libre (en ceci qu’il est affranchi de la demande) 5. La thĂ©orie de la . forclusion s’inscrit au contraire sur le versant de cet aphorisme Ă©crit par Lacan sur les murs de la salle de garde, « Ne devient pas fou qui veut », dans une optique de discontinuitĂ© radicale entre

Culture Il Ă©tait le plus provocateur des psychanalystes. Trente ans aprĂšs la mort de Jacques Lacan, le Seuil publie deux inĂ©dits, que "Le Point" prĂ©sente en exclusivitĂ©. Jacques Lacan, "Le sĂ©minaire livre XIX... ou pire" Ă©ditions Seuil, et "Je parle aux murs" entretiens de la chapelle de Sainte-Anne, textes Ă©tablis par Jacques-Alain Miller Ă©ditions Seuil. © Jerry Bauer Tout fou Lacan, titrait LibĂ©ration au lendemain de sa disparition. Fou, il l'Ă©tait peut-ĂȘtre devenu sur la fin, selon divers tĂ©moins. Mais, trente ans aprĂšs, la question n'est pas lĂ . PlutĂŽt pourquoi ceux qui le suivirent aprĂšs Mai 68 ont-ils acceptĂ© d'ĂȘtre par lui rendus fous ? Et surtout le plus connu des psys français est-il en passe de revenir hanter la psychanalyse comme un fantĂŽme ?Que reste-t-il de nos amours lacaniennes ? Car, il faut le reconnaĂźtre, dans l'incroyable attachement de milliers de disciples Ă  la parole oraculaire du maĂźtre, il y avait avant tout de l'amour. Un amour presque passionnel, sacrificiel "Perinde ac cadaver." Certains en sont morts. D'autres s'en nourrissent encore. Comment sĂ©parer l'amour de la vĂ©ritĂ© de la vĂ©ritĂ© de l'amour ? Il est impossible de dĂ©nouer le lien fatal qui fait qu'on croit aimer quelqu'un parce qu'il parle bien et dit le vrai, alors qu'on croit qu'il maĂźtrise la langue et dĂ©tient la vĂ©ritĂ© parce qu'on l'aime. Nous sommes tous soumis Ă  ce que Pascal appelle "la confusion des ordres".Cependant, trente ans aprĂšs sa mort, il est temps de tracer un bilan de l'apport de Lacan Ă  la psychanalyse et Ă  la culture, sinon impartial, du moins Ă©quilibrĂ©, entre la gratitude envers telle dĂ©couverte et le rejet de telle autre, sans cĂ©der Ă  l'hagiographie commĂ©morative ni Ă  l'aigreur fĂ©condsNous sommes dans l'aprĂšs-Lacan. Non au sens oĂč il aurait marquĂ© un "avant" rĂ©volu et ouvert une Ăšre nouvelle, encore moins d'un sauveur ou d'un prophĂšte pas de datation entre "avant JL" et "aprĂšs JL", mais au sens oĂč sa recherche continue de susciter des dĂ©bats fĂ©conds mĂȘme chez ceux qui s'en sont nous lĂšgue-t-il ? Quelques aphorismes fulgurants "le dĂ©sir, c'est le dĂ©sir de l'autre", "l'amour, c'est donner ce qu'on n'a pas Ă  quelqu'un qui n'en veut pas". Des calembours d'Almanach Vermot, "poubellication", mais aussi de brillants mots-valises "hainamoration". D'incroyables proclamations de gĂ©nie "Moi, la vĂ©ritĂ©, je parle". Des grossiĂšretĂ©s de salle de garde, rachetĂ©es par des distinctions opĂ©rantes entre besoin, demande et dĂ©sir, par exemple, ou frustration, privation et castration. Quelques fulgurantes lumiĂšres mĂȘlĂ©es Ă  tant de prĂ©ciositĂ©s obscures. Comme le disait l'un des maĂźtres de Lacan "Quand l'eau est trouble, on ne voit pas s'il y a du poisson ou non."VĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©eLa seule question est dĂ©sormais que faire de tout cela, et en a-t-on vraiment besoin pour soigner un patient ? Les deux textes aujourd'hui publiĂ©s et dont Le Point prĂ©sente, en exclusivitĂ©, des extraits essentiels, datent de la pĂ©riode 1971-1972 et tournent autour de cette proposition en forme de vĂ©ritĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e "Il n'y a pas de rapport sexuel." Cela signifie-t-il que le rapport entre les sexes n'est pas de l'ordre de l'harmonie préétablie, de la complĂ©tude heureuse, mais du conflit et du ratage ? Que la sexualitĂ© ne rapporte rien et qu'on ne peut rien en rapporter, ni en dire ou en Ă©crire, parce que, justement, "ça ne parle que de ça" ? Ce sont des Ă©vidences connues depuis Freud. Mais cela ne masque-t-il pas en rĂ©alitĂ© une conception pathologique de la sexualitĂ© il n'existerait pour les sexes aucun moyen de se rapporter l'un Ă  l'autre ? Si cet Ă©noncĂ© Ă©tait vrai, combien d'entre nous seraient rassurĂ©s de ne pouvoir pas se rapporter Ă  l'autre sexe ! Que conclure de cette lecture ? Je prĂ©fĂšre la phrase dĂ©licieuse d'un personnage de Proust, Mme Leroi "L'amour ? Je le fais souvent mais je n'en parle jamais."Ce "SĂ©minaire" nous donne le mĂ©lange instable et fascinant d'un Lacan provocateur Ă  une rĂ©flexion toujours vivante sur la psychanalyse et de sa fuite dans la "mathĂ©matisation" de l'inconscient sexuel qui en est pourtant le noyau central. Michel Schneider, auteur de Lacan, pĂ©riode fauve PUF, 2010.Jacques Lacan, Le sĂ©minaire livre XIX... ou pire Seuil, 264 p., 23 euros, et Je parle aux murs entretiens de la chapelle de Sainte-Anne, textes Ă©tablis par Jacques-Alain Miller, Seuil, 128 p., 12 euros. Parution le 25 aoĂ»t. Saison lacanienne En librairie - 1er septembre Vie de Lacan, de Jacques-Alain Miller Navarin, 24 p., 5 euros, et sur . 1er septembre Lacan, envers et contre tout, d'Elisabeth Roudinesco Seuil, 15 euros. - 13 octobre Lacan au miroir des sorciĂšres, numĂ©ro spĂ©cial de la revue La Cause freudienne Diffusion Volumen, 20 euros. À la tĂ©lĂ©vision - 5 septembre, 22 h "Rendez-vous chez Lacan", de GĂ©rard Miller, France 3. ÉvĂ©nements - 9 septembre Lecture non stop de Lacan Ă  l'École normale. EntrĂ©e octobre journĂ©es Lacan au Palais des congrĂšs, Ă  Paris. Une vie1901. NaĂźt Ă  Paris. 1932. Soutient sa thĂšse de psychiatrie. 1964. Fonde l'Ecole freudienne de Paris. 1966. " Ecrits " Seuil. 1980. Dissout l'Ecole freudienne. 1981. Meurt Ă  Paris. Je m'abonne Tous les contenus du Point en illimitĂ© Vous lisez actuellement Que reste-t-il de Jacques Lacan ? 4 Commentaires
GuyBriole, Psychanalyste membre de la ECF, psychiatre et ancien Directeur à l'hÎpital du Val-de-Grùce à Paris, est intervenu dans l'émission "n'est pas fou qui veut" sur

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Nedevient pas fou qui veut : clinique psychanalytique des psychoses (BrochĂ©) achat en ligne au meilleur prix sur E.Leclerc. Retrait gratuit dans + de 700 magasins RĂ©sumĂ© Index Plan Texte Notes Citation Auteur RĂ©sumĂ©s La religion serait, aux yeux de la psychanalyse, une nĂ©vrose obsessionnelle. Les Ă©crits de Freud touchant Ă  la religion, de Totem et tabou Ă  L’Avenir d’une illusion, alimentent cette vulgate. On peut nĂ©anmoins s’interroger sur le sort que Freud rĂ©serve, dans MoĂŻse et le monothĂ©isme, Ă  ses coreligionnaires juifs persĂ©cutĂ©s par les nazis le testament » du fondateur de la psychanalyse Ă  l’égard du judaĂŻsme est plus ouvert qu’on ne croit. De plus, on ne s’est guĂšre avisĂ© du fait que la qualification de nĂ©vrose ne constitue en rien une dĂ©finition. Quand Freud cherche Ă  donner quelque chose de tel, il s’appuie volontiers sur l’étymologie et sur les significations souvent contradictoires que celle-ci livre. La mĂȘme dĂ©marche peut ĂȘtre tentĂ©e Ă  propos de la religion, qui n’est pas seulement rassemblement sous un principe mais aussi Ɠuvre de lecture, comme l’illustre la promesse faite Ă  Abraham, le pĂšre des religions du Livre. Viewed by psychoanalysis, religion should be an obsessive neurosis. Freud’s writings on religion, from Totem and Taboo » to The Future of an Illusion » sustain that common view. One may all the same question the place that Freud in Moses and Monotheism » gives to his fellow Jews per-secuted by the nazis the testament » of the founder of psychoanalysis concerning Judaism is more open-minded than is usually believed. Moreover little attention has been paid to the fact that calling religion a neurosis is by no means a definition. When Freud attempts to give something like a definition, he usually starts with the etymology and with the often contradictory meanings that science provides. The same approach may be tried about religion, which not only a gathering of people following the same principle, but also the practice of reading, as is illustrated by the promise made to Abraham, the father of the religions of the de page EntrĂ©es d'index Haut de page Texte intĂ©gral 1Quand on demande Ă  quelqu’un qui s’intĂ©resse Ă  la psychanalyse ce qu’il pense de la religion, il est courant de l’entendre Ă©voquer la nĂ©vrose, les foules conventionnelles et les liens libidinaux qui en assurent la cohĂ©sion. Quand on cherche ensuite Ă  faire prĂ©ciser ce que reprĂ©sente le terme de nĂ©vrose, la rĂ©ponse est tout aussi rebattue. Elle en appelle Ă  la maladie, voire Ă  l’anomalie psychique. Et celles-ci renvoient Ă  la compĂ©tence du psychanalyste, du coup promu officier de santĂ© mentale et rectificateur des errements du dĂ©sir. On trouve dans l’Ɠuvre de Freud les Ă©lĂ©ments qui nourrissent une telle vulgate. Cette version consacrĂ©e permet de s’en tenir aux idĂ©es reçues et d’ignorer une recherche qui s’étend sur plus d’un demi-siĂšcle. Une rĂ©flexion rigoureuse portant sur la conception freudienne de la religion exige en revanche de lire le maĂźtre de prĂšs afin de dĂ©gager de ses Ă©crits les consĂ©quences qu’ils impliquent. 2Une telle exigence relĂšve de la morale Ă©lĂ©mentaire, Ă  laquelle je souscris. Je dĂ©velopperai mon parcours en deux temps. AprĂšs avoir exposĂ© la façon dont Freud approche le fait religieux Ă  partir de son expĂ©rience clinique et des apports de l’ethnologie et de l’histoire, je pointerai, dans le discours freudien, les remarques qui permettent d’introduire la problĂ©matique de la lecture Ɠuvrant dans la religion et dans la rĂ©flexion menĂ©e Ă  son propos. I. La construction de Totem et tabou 1 S. Freud, Actes obsĂ©dants et exercices religieux », L’Avenir d’une illusion, Paris, PUF, 1971, p. ... 2 Ibid. 3 Ibid., 4 S. Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, Paris, Gallimard, coll. IdĂ©es », 1948, p. 76. 5 Freud, Actes obsĂ©dants et exercices religieux », p. 86. 6 Ibid., p. 90. 3DĂšs 1907, un Ă©crit intitulĂ© Actes obsĂ©dants et exercices religieux rĂ©vĂšle l’intĂ©rĂȘt portĂ© par Freud Ă  la religion. L’auteur ouvre son propos par cette phrase Je ne suis certes pas le premier qu’ait frappĂ© la ressemblance qui existe entre les actes obsĂ©dants des nĂ©vrosĂ©s et les exercices par lesquels le croyant tĂ©moigne de sa piĂ©tĂ©1 ». La suite de l’article multiplie les exemples qui montrent la ressemblance entre pensĂ©es, reprĂ©sentations ou impulsions obsĂ©dantes, caractĂ©ristiques de la nĂ©vrose obsessionnelle2 » et les actes sacrĂ©s du rite religieux3 ». À cette Ă©poque Freud reste modĂ©rĂ©. Il ne dĂ©clare pas encore que la religion n’est qu’une nĂ©vrose de l’humanitĂ©4 ». Il se contente de comparer la nĂ©vrose obsessionnelle Ă  une caricature mi-comique, mi-lamentable d’une religion privĂ©e5 » qui demeure sous l’emprise d’un sentiment de culpabilitĂ© [lequel] prend sa source dans certains processus psychiques prĂ©coces6 ». 7 Ibid., p. 92. 8 Ibid., p. 93. 9 Ibid., p. 94. 4On retiendra ici l’insistance du psychanalyste sur l’économie du sentiment ou de l’affect dont l’origine n’est pas encore prĂ©cisĂ©e. Et quand il invoque l’angoisse expectante7 » du religieux craignant les chĂątiments divins, il se contente de souligner les concordances » et les analogies » qui lui permettent de concevoir la nĂ©vrose obsessionnelle comme constituant un pendant pathologique de la formation des religions8 ». Il qualifie ainsi la nĂ©vrose de religiositĂ© individuelle [et] la religion de nĂ©vrose obsessionnelle universelle9 ». On notera enfin, pour y revenir plus loin, que Freud se borne pour l’instant Ă  rĂ©coler et Ă  dĂ©crire les actes et les pensĂ©es obsĂ©dants sans avancer de vĂ©ritable dĂ©finition qui rendrait compte de la nĂ©vrose obsessionnelle - et donc implicitement de la religion. Il lui faudra mener Ă  bien l’entreprise dĂ©veloppĂ©e dans Totem et tabou pour asseoir dĂ©finitivement sa conception du religieux. Celle-ci, en effet, ne variera plus jusqu’en 1939, annĂ©e de la publication intĂ©grale du MoĂŻse et le monothĂ©isme et de la disparition de l’inventeur de la psychanalyse. 10 S. Freud, Totem et tabou, Paris, Petite BibliothĂšque Payot, 1965, p. 162. 5Avec Totem et tabou, Freud ancre sa rĂ©flexion autour de la notion de tabou afin de justifier l’apport de la psychanalyse Ă  l’ethnologie et d’expliquer l’universalitĂ© de l’interdit de l’inceste. Cette notion lui permet de faire le lien entre l’article de 1907 et sa position dĂ©finitive de 1912 qui centre sa conception de la nĂ©vrose et de la religion autour de la problĂ©matique paternelle, elle-mĂȘme liĂ©e Ă  la question du totem. La dĂ©monstration du psychanalyste suit un parcours rigoureux. On peut le rĂ©sumer de la façon suivante le tabou de l’inceste rapportĂ© par l’ethnologie renvoie lui-mĂȘme Ă  un interdit qui semble caractĂ©riser toutes les structures sociales observĂ©es. Pour faire concorder psychanalyse et ethnologie et ainsi garantir le sĂ©rieux de son hypothĂšse, Freud a recours aux thĂ©ories de Darwin et Ă  la notion d’ un pĂšre violent, jaloux, gardant pour lui toutes les femelles et chassant ses fils Ă  mesure qu’ils grandissent10 ». À partir de ce postulat darwinien, il Ă©labore, Ă  la maniĂšre de Platon, un mythe explicatif. 11 Ibid.,p. 163. 12 Ibid. 6Ce mythe fait Ă©tat du meurtre d’un pĂšre primitif, corrĂ©latif de la premiĂšre organisation sociale et cause constitutive de la civilisation. Rappelons Ă  ce titre ces pages cĂ©lĂšbres de l’ouvrage L’organisation la plus primitive que nous connaissions et qui existe encore actuellement chez certaines tribus consiste en associations d’hommes jouissant de droits Ă©gaux et soumis aux limitations du systĂšme totĂ©mique, y compris l’hĂ©rĂ©ditĂ© en ligne maternelle. Cette organisation a-t-elle pu provenir de celle que postule l’hypothĂšse darwinienne ? et par quel moyen a-t-elle Ă©tĂ© obtenue ?11 » La rĂ©ponse est connue qui conte le meurtre du pĂšre, suivi de sa dĂ©voration, par des frĂšres rassemblĂ©s dans la haine Un jour, les frĂšres chassĂ©s se sont rĂ©unis, ont tuĂ© et mangĂ© le pĂšre, ce qui a mis fin Ă  l’existence de la horde paternelle. Une fois rĂ©unis, ils sont devenus entreprenants et ont pu rĂ©aliser ce que chacun d’eux, pris individuellement, aurait Ă©tĂ© incapable de faire12 ». La dĂ©voration rĂ©alise l’identification au pĂšre sur le mode de l’incorporation orale. Elle permet ainsi Ă  chacun de s’approprier la force et le pouvoir paternels. 7Mais l’écriture du mythe ne peut s’arrĂȘter lĂ  sans faire Ă©tat de l’articulation du dĂ©sir et de la loi qui, seule, permet de rendre compte de la survie d’une sociĂ©tĂ© de frĂšres, comme de la naissance de la civilisation et de la religion. Cette construction introduit donc, outre la notion d’ambivalence, celle de culpabilitĂ© qui, ensemble, expliquent l’exaltation du pĂšre et sa divinisation par les frĂšres repentants 13 Ibid., p. 164. Il suffit, dit Freud, d’admettre que la bande fraternelle, en Ă©tat de rĂ©bellion, Ă©tait animĂ©e Ă  l’égard du pĂšre des sentiments contradictoires qui, d’aprĂšs ce que nous savons, forment le contenu ambivalent du complexe paternel chez chacun de nos enfants et de nos nĂ©vrosĂ©s. Ils haĂŻssaient le pĂšre [...], mais tout en le haĂŻssant, ils l’aimaient et l’admiraient. AprĂšs l’avoir supprimĂ©, aprĂšs avoir assouvi leur haine et rĂ©alisĂ© leur identification avec lui, ils ont dĂ» se livrer Ă  des manifestations affectives d’une tendresse exagĂ©rĂ©e. Ils le firent sous la forme du repentir [...]. Le mort devenait plus puissant qu’il ne l’avait jamais Ă©tĂ© de son vivant13. 8Le pĂšre devint Dieu et la loi avec lui. La religion put dĂ©sormais exercer son empire avec l’aide de la morale... et du bras sĂ©culier quand cela fut possible. 9Pour rendre compte de l’articulation de la loi et du dĂ©sir, Freud Ă©met une nouvelle hypothĂšse 14 Ibid., p. 165. Si les frĂšres Ă©taient associĂ©s, tant qu’il s’agissait de supprimer le pĂšre, ils devenaient rivaux, dĂšs qu’il s’agissait de s’emparer des femmes. Chacun aurait voulu, Ă  l’exemple du pĂšre, les avoir toutes Ă  lui, et la lutte gĂ©nĂ©rale qui en serait rĂ©sultĂ©e aurait amenĂ© la ruine de la sociĂ©tĂ©. [..] Aussi les frĂšres, s’ils voulaient vivre ensemble, n’avaient-ils qu’un seul parti Ă  prendre aprĂšs avoir, peut-ĂȘtre, surmontĂ© de graves discordes, instituer l’interdiction de l’inceste, par laquelle ils renonçaient tous Ă  la possession des femmes convoitĂ©es, alors que c’était principalement pour s’assurer cette position qu’ils avaient tuĂ© le pĂšre14. 10La boucle est bouclĂ©e. Les sentiments obsĂ©dants et l’ambivalence qui les caractĂ©rise se retrouvent dĂ©placĂ©s sur l’interdit de l’inceste, incarnĂ© dans un tabou qui n’appelle ni raison ni conscience morale. Son dĂ©cret tombe du ciel oĂč rĂšgne un pĂšre divinisĂ©, tout puissant, prĂȘt Ă  se venger de la moindre incartade de ses fils, mais aussi toujours disposĂ© Ă  leur garantir une vie Ă©ternelle quand leurs vertus ont accumulĂ© les mĂ©rites suffisants pour amadouer le monstre sacrĂ©. 11La religion disposera d’un avenir radieux ; elle rĂšgnera sur un monde humain en proie au ressentiment et Ă  l’obĂ©issance haineuse, tant que le mythe religieux gardera, au dĂ©triment de la science, son pouvoir de sĂ©duction. L’humanitĂ© vivra Ă  cĂŽtĂ© de la rĂ©alitĂ© et de la vĂ©ritĂ©. Victime de la passion, elle sera dirigĂ©e par des clercs qui ne connaissent que leur pouvoir et se moquent de la raison et de sa voix fragile. 15 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 49. 16 Ibid., p. 39. 17 Freud, Totem et tabou, p. 179. 12Alors se lĂšve l’humaniste dĂ©cidĂ© Ă  dĂ©fendre urbi et orbi les valeurs de la civilisation contre les illusions [des] doctrines religieuses15 ». Celles-ci vĂ©hiculent des idĂ©es qui se cristallisent en des dogmes » invĂ©rifiables par des preuves scientifiques. À ces dogmes qui sont tous des absurditĂ©s16 », Freud oppose une thĂ©orie fondĂ©e sur l’observation clinique que tout thĂ©rapeute peut confirmer. Et pour en signifier l’origine, il substitue aux mythes religieux un mythe scientifique qui s’inscrit dans le complexe d’ƒdipe oĂč l’on trouve les commencements Ă  la fois de la religion, de la morale, de la sociĂ©tĂ© et de l’art, et cela en pleine conformitĂ© avec les donnĂ©es de la psychanalyse qui voit dans ce complexe le noyau de toutes les nĂ©vroses, pour autant que nous ayons rĂ©ussi jusqu’à prĂ©sent Ă  pĂ©nĂ©trer leur nature17 ». 18 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 44. 13L’Avenir d’une illusion, publiĂ© quinze ans plus tard, ravive la querelle et dĂ©clenche, au moins parmi les responsables religieux, un nouvel Ă©moi et une polĂ©mique non moins vĂ©hĂ©mente. L’opuscule de Freud n’a pourtant rien Ă  voir avec une pasquinade voire avec un pamphlet. L’auteur, sĂ©duit comme la plupart des savants de son temps par l’efficace de la science, cherche Ă  remettre la religion Ă  sa place. C’est une illusion, dĂ©clare-t-il, et ce qui caractĂ©rise l’illusion, c’est d’ĂȘtre dĂ©rivĂ©e des dĂ©sirs humains18 ». La religion diffĂšre de l’erreur en ce sens qu’elle renonce Ă  ĂȘtre confirmĂ©e par le rĂ©el, c’est-Ă -dire par les moyens de la science qui fait appel Ă  l’observation et au raisonnement. 19 S. Freud , Malaise dans la civilisation », Revue française de psychanalyse, Paris, PUF, XXXIV, ja ... 14Le positivisme scientiste professĂ© par le Viennois ne s’accompagne pourtant pas d’un optimisme bĂ©at. La psychanalyse pour laquelle il revendique la scientificitĂ© que lui refusera, plus tard, Karl Popper, lui aura en effet permis de mettre au jour les ressorts cachĂ©s de l’ñme humaine vouĂ©e Ă  l’agressivitĂ© L’homme est, en effet, tentĂ© de satisfaire son besoin d’agression aux dĂ©pens de son prochain, d’exploiter son travail sans dĂ©dommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer »19. ConfrontĂ© Ă  la fĂ©rocitĂ© et Ă  la dĂ©tresse de son semblable, Freud stigmatise dans l’Avenir d’une illusion puis, trois ans plus tard, dans Malaise dans la civilisation, l’impuissance de la religion Ă  offrir une quelconque amĂ©lioration de la condition humaine. La morale fondĂ©e sur la crainte peut Ă  la rigueur brider le mal qui sommeille en chacun, mais elle demeure incapable de domestiquer ce loup toujours prĂȘt Ă  tuer. En agitant ses origines divines, la morale fondĂ©e sur la religion peut aussi accomplir son Ɠuvre de rĂ©pression sans changer pour autant la nature psychologique de celui que l’on civilise, autrement dit, qu’on dresse. 20 Voir ibid., p. 77. 21 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 29. 22 Ibid.,p. 70. 23 Ibid., p. 77. 24 Ibid.,p. 78. 25 Freud, Malaise dans la civilisation », p. 79. 26 Ibid. 15La civilisation a quand mĂȘme du bon20. Elle permet de lutter contre les souffrances engendrĂ©es par la suprĂ©matie de la nature21 ». Elle humanise cette nature et transmet le patrimoine culturel amassĂ© de gĂ©nĂ©rations en gĂ©nĂ©rations. Elle garde les acquis de la raison. Et parmi ceux-ci, il y a la psychanalyse qui apprend Ă  l’homme Ă  s’accepter tel qu’il est, rĂ©duit Ă  ses propres forces [et tenu de] s’en servir comme il convient22 ». Les seules divinitĂ©s qui se partagent le panthĂ©on freudien s’appellent logos et anankĂš23. Et si celle-ci impose raison et nĂ©cessitĂ© venant de la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure, celui-lĂ  n’est peut-ĂȘtre pas trĂšs puissant24 », mais il prĂ©side au travail scientifique, lequel est susceptible de mieux tenir ses promesses que ne le fait la religion. Cela dit, Freud se garde bien d’émettre quelque avis dĂ©finitif sur la civilisation Pour diffĂ©rentes raisons, tout jugement de valeur sur la civilisation humaine est bien loin de ma pensĂ©e25 », parce que tous les jugements de valeur portĂ©s par les hommes leur sont indiscutablement inspirĂ©s par leur dĂ©sir de bonheur, et qu’ils constituent ainsi une tentative d’étayer d’arguments leurs illusions26 ». II. Le testament de MoĂŻse et le monothĂ©isme 27 D. Bakan, Freud et la mystique juive,Paris, Petite BibliothĂšque Payot, 1977, 119. 28 M. Schur, La Mort dans la vie de Freud, Paris, Gallimard, 1975, p. 555. 29 Bakan, Freud et la mystique juive, p. 119. 16On achĂšvera ce rappel de la conception freudienne de la religion en reprenant quelques pages de MoĂŻse et le monothĂ©isme. Cet ouvrage est curieux. Autant Totem et tabou se distingue par l’élĂ©gance et la puissance de sa construction, autant le dernier livre de Freud apparaĂźt comme un essai fait de piĂšces et de morceaux, dĂ©roulant une sĂ©rie d’hypothĂšses qui ne semblent pas manifester la rigueur chĂšre Ă  son auteur. David Bakan avoue Ă  ce propos que certains des disciples de Freud ont essayĂ© de le rejeter ; d’autres le considĂšrent comme une production de vieillard et suggĂšrent que la meilleure façon de respecter le gĂ©nie de Freud est d’ignorer cette Ɠuvre27 ». Une telle opinion ne tient pas compte, entre autres, du tĂ©moignage de Max Schur28. Le mĂ©decin de Freud reconnaĂźt les points faibles de la construction de son ami. Ainsi dĂ©nonce-t-il la notion de traces archaĂŻques hĂ©rĂ©ditaires auxquelles Freud fait appel pour justifier la transmission de l’expĂ©rience collective au sujet. Il ne remet pas en question pour autant les hypothĂšses exĂ©gĂ©tiques douteuses qui Ă©maillent l’ouvrage. Bakan Ă©voque, lui, l’hypothĂšse d’un livre Ă  double sens29 » Ă©crit selon les procĂ©dĂ©s de la Kabbale dont Freud aurait subi l’influence par le biais de ses parents, marquĂ©s, l’un et l’autre, par la tradition hassidique. 30 Ibid.,p. 47. 17On n’exposera pas ici la thĂšse dĂ©veloppĂ©e par David Bakan autour du courant mystique qui aurait mis fin au pouvoir des seuls rabbins, et ouvert le judaĂŻsme Ă  la modernitĂ© occidentale. On soulignera en revanche le propos de LĂ©o Strauss rapportĂ© par l’auteur, selon lequel il existerait dans la pensĂ©e juive une tradition forgĂ©e pendant l’épreuve de la persĂ©cution, de s’exprimer par Ă©crit d’une façon voilĂ©e30 ». On sait que l’écriture de MoĂŻse et le monothĂ©isme a pour toile de fond la persĂ©cution anti-juive dont l’histoire reconnaĂźt le caractĂšre exclusif. 31 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 7. 32 Ibid. 33 Ibid., p. 94. 34 Ibid., p. 80. 18La premiĂšre phrase de l’essai donne sa dimension tragique Ă  l’ensemble de l’ouvrage DĂ©possĂ©der un peuple de l’homme qu’il cĂ©lĂšbre comme le plus grand de ses fils est une tĂąche sans agrĂ©ment que l’on n’accomplit pas d’un cƓur lĂ©ger31 ». La question se pose alors de savoir pourquoi Ă©crire un livre qui fait mal et qui dĂ©possĂšde ses compatriotes d’un hĂ©ros tutĂ©laire. La phrase qui suit donne la rĂ©ponse Toutefois aucune considĂ©ration ne saurait m’induire Ă  nĂ©gliger la vĂ©ritĂ© au nom d’un prĂ©tendu intĂ©rĂȘt national32 ». La vĂ©ritĂ© est donc l’enjeu de l’entreprise. L’ idĂ©al de vĂ©ritĂ© objective des his­toriens33 » doit prĂ©sider Ă  une dĂ©marche qui s’oppose au nationalisme. Et Freud connaĂźt parfaitement l’intĂ©rĂȘt national des nazis et l’antisĂ©mitisme fou de l’auteur de Mein Kampf. La vĂ©ritĂ© est donc liĂ©e au rĂ©el, c’est-Ă -dire Ă  l’écriture de l’histoire. Mais Freud sait aussi que le rĂ©el est toujours dĂ©jĂ  interprĂ©tĂ©, et que la lecture interprĂ©tante est celle d’un sujet, lui-mĂȘme touchĂ© par ce rĂ©el. Car, selon lui, les phĂ©nomĂšnes psychiques tirent leur caractĂšre obsĂ©dant [de] la part de vĂ©ritĂ© historique qu’ils contiennent34 ». Le travail du psychanalyste consiste donc Ă  jeter un pont entre l’écoute clinique et le rĂ©el de l’évĂ©nement historique. C’est pourquoi Freud ne renoncera jamais vraiment Ă  l’opinion qui dĂ©fend l’hĂ©rĂ©ditĂ© des caractĂšres acquis. 35 Ibid., p. 144 s. 36 Ibid., p. 116. 37 Ibid.,p. 117. 38 Ibid. 39 Ibid.,p. 119. 40 Ibid., p. 120. 19Quel que soit le caractĂšre kabbalistique confĂ©rĂ© Ă  l’ouvrage, on retiendra que son auteur, comme il l’affirme, ne retire rien de ce qu’il a avancĂ© dans Totem et tabou. Et pourtant il opĂšre un glissement qui dĂ©place le rĂŽle du pĂšre sur le fils. Ce n’est plus un PĂšre-Dieu qui est tuĂ©, mais MoĂŻse, lieutenant du PĂšre. En tant que grand frĂšre, le Grand Homme, crĂ©ateur des juifs35, suscite la haine de la fratrie. Il sera assassinĂ©, non sans avoir rĂ©alisĂ© son Ɠuvre de lĂ©gislateur et imposĂ© le monothĂ©isme du pharaon hĂ©rĂ©tique Akhenaton. Freud interprĂšte l’instauration du monothĂ©isme comme le retour de la religion du pĂšre primitif36 ». AprĂšs une pĂ©riode de latence indĂ©finie, un juif romain, Paul de Tarse, s’empare du sentiment de culpabilitĂ© fourrĂ© dans l’inconscient juif et le ramĂšne trĂšs justement Ă  sa source prĂ©historique, en lui donnant le nom de pĂ©chĂ© originel un crime avait Ă©tĂ© commis envers Dieu et la mort seule pouvait le racheter37 ». Poussant plus loin, Freud affirme Toutefois, il ne fut nullement question de ce meurtre, mais seulement du fantasme de son expiation, et c’est pourquoi ce fantasme put ĂȘtre saluĂ© comme un message de dĂ©livrance Évangile. Un fils de Dieu, innocent de toute faute, s’était sacrifiĂ©, avait pris Ă  son compte la culpabilitĂ© de tous. Il fallait bien que ce fĂ»t un fils, puisque le meurtre avait eu un pĂšre pour victime38 ». Et le psychanalyste conclut Le judaĂŻsme avait Ă©tĂ© la religion du pĂšre, le christianisme devint la religion du fils. L’ancien Dieu, le Dieu-pĂšre, passa au second plan ; le Christ, son fils, prit sa place, comme aurait voulu le faire, Ă  une Ă©poque rĂ©volue, chacun des fils rĂ©voltĂ©s. Paul, le continuateur du judaĂŻsme, fut aussi son destructeur39 ». MoĂŻse assassinĂ© avait Ă©tĂ© le substitut du pĂšre40 » et le Christ, substitut de MoĂŻse, rĂ©alise, selon Paul, le judaĂŻsme, en faisant du Dieu national protecteur exclusif de son peuple Ă©lu, un Dieu universel sans image, sans matĂ©rialitĂ© et sans choix prĂ©fĂ©rentiel. 41 Schur, La Mort dans la vie de Freud, p. 554. 42 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 77. 43 Ibid.,p. 75. 44 Bakan, Freud et la mystique juive, p. 61. 20On comprend que ce dĂ©piautage du judaĂŻsme, puis du christianisme, ne soit pas du goĂ»t de tout le monde. Que MoĂŻse soit considĂ©rĂ© comme un goy cynique, utilisant la condition prĂ©caire des juifs en Égypte pour rĂ©cupĂ©rer un pouvoir perdu avec le retour d’Amon, ne peut qu’enfermer dans le dĂ©sespoir leurs descendants persĂ©cutĂ©s par les nazis. Freud se doute bien que la publication de son essai pourrait aussi affecter les relations avec une Église catholique omniprĂ©sente. Il sait que l’influence d’un certain PĂšre Schmidt sur la hiĂ©rarchie pourrait entraĂźner des reprĂ©sailles41 allant jusqu’à interdire l’exercice de la psychanalyse42 » en Autriche. Pourquoi alors, aprĂšs beaucoup d’hĂ©sitations, dĂ©cide-t-il de publier la partie conclusive de l’ouvrage ? Parce qu’il est mĂ», dit-il, par l’audace de celui qui n’a plus grand-chose ou plus rien du tout Ă  perdre43 ». La rĂ©ponse semble rapide de la part d’un savant qui a toujours revendiquĂ© sa judaĂŻtĂ© » et qui passa toute sa vie [...] dans un monde composĂ© presque exclusivement de Juifs44 ». N’ayant plus rien Ă  perdre, se dĂ©solidariserait-il de ses compatriotes ? On suggĂšrera une rĂ©ponse plus loin. 45 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 75. 46 Ibid.,p. 76. 47 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 149-150. 48 Ibid.,p. 151. 49 Ibid.,p. 152. 50 Ibid. 51 Ibid., p. 154. 21Cela dit, une nouvelle question surgit bientĂŽt autour de l’idĂ©e de sublimation. Le psychanalyste Ă©voque dĂ©jĂ  dans VAvenir d’une illusion le devenir pulsionnel et la possible Ă©puration » de la religion. À un contradicteur virtuel45 qui avance cet argument, il rĂ©pond qu’il n’y est pas insensible tout en affirmant que les illusions religieuses [demeurent] impossibles Ă  corriger46 », car elles possĂšdent un caractĂšre dĂ©lirant. Dans MoĂŻse et le monothĂ©isme, pourtant, il admet chez les juifs certaines dispositions psychiques [aidant] Ă  supporter les inconvĂ©nients de la religion mosaĂŻque dans le seul dessein d’ĂȘtre le peuple Ă©lu de Dieu47 ». Et quelles sont les consĂ©quences de cette religion ? Freud en note trois. La premiĂšre est d’avoir donnĂ© aux Juifs une idĂ©e plus grandiose de la divinitĂ©48 ». La seconde consiste Ă  interdire de se faire une image de Dieu49 », en d’autres termes, Ă  mettre Ă  l’arriĂšre-plan [...] la perception sensorielle par rapport Ă  l’idĂ©e abstraite50 ». La troisiĂšme a trait Ă  la reconnaissance de l’existence de forces ’spirituelles’, c’est-Ă -dire de forces que les sens, et singuliĂšrement la vue, ne peuvent saisir51 ». 22Ces trois consĂ©quences lui permettent d’amener une conclusion qui ne semble pas avoir Ă©tĂ© exploitĂ©e par les anthropologues, les thĂ©ologiens ou les moralistes soucieux d’articuler la doctrine psychanalytique et la thĂ©ologie, eu Ă©gard aux rapports de la fonction paternelle avec l’Écriture. Voici la conclusion de Freud 52 Ibid., p. 154-155. Nous savons que MoĂŻse inculqua aux Juifs la fiertĂ© de se croire un peuple Ă©lu ; grĂące Ă  la dĂ©matĂ©rialisation de Dieu, un nouveau joyau s’ajouta encore au trĂ©sor secret de ce peuple. Les Juifs continuĂšrent Ă  s’intĂ©resser aux choses spirituelles, les malheurs politiques de leur nation leur apprirent Ă  apprĂ©cier Ă  sa juste valeur le seul bien qui leur restĂąt leurs documents Ă©crits. ImmĂ©diatement aprĂšs la destruction par Titus du temple de JĂ©rusalem, le rabbin Jochanaan ben Sakkai demanda l’autorisation d’ouvrir Ă  JahnĂ© la premiĂšre Ă©cole consacrĂ©e Ă  l’étude de la Thora. DĂ©sormais ce furent les Livres SacrĂ©s et leur Ă©tude qui empĂȘchĂšrent ce peuple dispersĂ© de se dĂ©sagrĂ©ger52. 53 K. Stern, La TroisiĂšme RĂ©volution. Essai sur la psychanalyse et la religion, Paris, Éd. du Seuil, 1 ... 54 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 76. Nous soulignons. 55 Freud, Actes obsĂ©dants et exercices religieux », p. 83. 56 Voir GOUX, Les Iconoclastes, Paris, Éd. du Seuil, 1978. 23Une telle affirmation modifie l’abord de la question religieuse pratiquĂ© aprĂšs Freud. Karl Stern53 dĂ©nonce Ă  ce propos le rĂ©ductionnisme de la formule ne que » employĂ©e par les disciples, mais que l’on trouve dĂ©jĂ , on l’a soulignĂ©, sous la plume du maĂźtre de Vienne Nos recherches nous amĂšnent Ă  conclure que la religion n’est qu’une nĂ©vrose de l’humanitĂ©54 ». RĂ©duire la religion Ă  un certain nombre de phĂ©nomĂšnes psychiques morbides55 », qui tiennent lieu de dĂ©finition, semble rĂ©vĂ©ler une hĂąte qui ne relĂšve pas de la neutralitĂ© propre Ă  la mĂ©thode scientifique. On peut dĂšs lors se poser la question des raisons qui ont poussĂ© Freud Ă  pourchasser la religion et Ă  en dĂ©noncer, trente ans durant, le caractĂšre nĂ©vrotique. Le souci de vĂ©ritĂ© en est une, qui vitupĂšre le mensonge millĂ©naire colportĂ© par les clercs. L’antisĂ©mitisme ambiant en est certainement une autre, lequel voit la trĂšs catholique Autriche sĂ©duite par les pompes hitlĂ©riennes. Une exigence morale sans concession apparaĂźt, elle aussi, comme une des raisons permettant d’invoquer la rigueur scientifique, faute de pouvoir dĂ©montrer l’exactitude de la doctrine. Toutes ces raisons ont Ă©tĂ© invoquĂ©es pour expliquer le radicalisme de Freud, sans compter celle qui consiste Ă  dĂ©noncer les rapports nĂ©vrotiques du psychanalyse avec son pĂšre Jakob. Bakan, enfin, propose une interprĂ©tation reprise par Jean-Joseph Goux56 selon laquelle Freud aurait voulu protĂ©ger les siens de la rivalitĂ© mortifĂšre des nazis en faisant du peuple allemand le dĂ©positaire d’une Ă©lection usurpĂ©e par les juifs Ă  la suite de MoĂŻse. Cette interprĂ©tation pourrait rĂ©pondre Ă  la question posĂ©e plus haut Ă  propos de la solidaritĂ© de Freud avec le destin du peuple juif. 24Il reste cependant Ă  dĂ©velopper une problĂ©matique qui a trait Ă  la dĂ©finition mĂȘme de la religion et au ne que » qui l’accompagne. Il est quand mĂȘme curieux que la plupart des psychanalystes qui ont suivi Freud n’aient pas cherchĂ© du cĂŽtĂ© de l’étymologie pour dĂ©finir le mot religion ». InstallĂ© dans les catĂ©gories du mĂ©dical ou du mĂ©dicinal, Freud lui-mĂȘme reste fixĂ© Ă  une construction Ă©laborĂ©e une fois pour toutes dans Totem et tabou. Il offre pourtant au lecteur de MoĂŻse et le monothĂ©isme la possibilitĂ© de dĂ©velopper une autre intelligence de la religion. Celle-ci introduit la problĂ©matique de la lecture et de l’écriture en lien avec la fonction paternelle. Cette possibilitĂ© vaut la peine d’ĂȘtre ici dĂ©veloppĂ©e. III. La promesse de la lettre 57 S. Freud, Essai de psychanalyse appliquĂ©e, Paris, Gallimard, coll. IdĂ©es »,1933, p. 174. 25Quand Freud cherche Ă  Ă©tablir avec exactitude la signification d’un mot dĂ©signant un concept, il ne manque pas de chercher Ă  cerner l’étymon de ce terme. La dĂ©finition de das Unheimliche en français l’inquiĂ©tante Ă©trangetĂ© est Ă  cet Ă©gard exemplaire. L’enquĂȘte qu’il mĂšne se conclut par cette phrase Ainsi ’heimlich’ est un mot dont le sens se dĂ©veloppe vers une ambivalence, jusqu’à ce qu’enfin il se rencontre avec son contraire ’unheimlich’57 ». Il ne semble pas avoir cherchĂ© Ă  faire le mĂȘme parcours pour le mot religion » Religion en allemand. Le recours Ă  l’étymologie lui aurait pourtant offert, au mot religion », une signification ne relevant pas de la seule psychopathologie. Le Dictionnaire historique de la langue française reprend les deux significations attribuĂ©es au latin religio pour affirmer que l’étymologie est controversĂ©e depuis l’AntiquitĂ© 58 A. Rey dir., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992 ... À la suite de Lactance, de Tertullien, les auteurs chrĂ©tiens se plaisent Ă  rattacher religio au verbe religare relier », de re [...] Ă  valeur intensive et de ligare lier ». La religion ayant pour objet les relations que l’on entretient avec la divinitĂ© [...]. Une autre origine est signalĂ©e par CicĂ©ron et appuyĂ©e de son autoritĂ© religio serait tirĂ© soit de legere cueillir, ramasser » » lire avec adjonction d’un prĂ©fixe re [...] marquant l’intensitĂ© ou le retour en arriĂšre, soit de religere, recueillir, recollecter »58. 26L’articulation des deux Ă©tymologies illustre avec bonheur la conclusion de Freud qui insiste sur la spiritualisation du judaĂŻsme opĂ©rĂ©e par MoĂŻse. La destruction du Temple et la dĂ©matĂ©rialisation de Dieu concourent Ă  purifier le culte et les pratiques de la religion juive. Si, en effet, les seuls biens restĂ©s aux juifs, aprĂšs la destruction du Temple, furent leurs documents Ă©crits et si l’étude des Livres SacrĂ©s fut la seule pratique qui empĂȘcha le peuple dispersĂ© de se dĂ©sagrĂ©ger, il faut bien admettre que l’articulation des deux dĂ©finitions latines du mot religio convient au judaĂŻsme en tant que religion dite du Livre. 59 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 125. 60 Ibid. 61 Ibid. 27Elle devrait donc convenir Ă©galement au christianisme et Ă  l’islam. Pour celui-ci, Freud avoue un savoir limitĂ©, lequel lui permet toutefois [d’affirmer] que l’instauration de la religion de Mahomet lui paraĂźt ĂȘtre une rĂ©pĂ©tition abrĂ©gĂ©e de la religion juive sur laquelle elle s’est modelĂ©e59 ». Cela signifie que l’islam rĂ©cupĂ©ra dans le judaĂŻsme la figure du grand et unique PĂšre primitif60 ». Mais qu’Allah, en retour, se montra bien plus reconnaissant envers son peuple Ă©lu que ne l’avait Ă©tĂ© JahvĂ© envers le sien61 ». On a Ă©voquĂ© plus haut ce que dit Freud de la religion chrĂ©tienne fondĂ©e par Paul. Cela Ă©tant, il faut reconnaĂźtre que des trois religions du Livre, seul le judaĂŻsme mĂ©rite vraiment ce qualificatif. L’islam et, jusqu’à une date rĂ©cente, le catholicisme, eurent tendance Ă  se rĂ©clamer d’une tradition accrochĂ©e au sens reçu et rĂ©tive Ă  tout renouvellement apportĂ© par la relecture. La rĂ©citation du Coran ou des Évangiles ne permet pas en effet de revendiquer un brevet de lecture. Cette affirmation introduit dĂšs lors la question de la lecture. 28Qu’est-ce que lire ? L’étymologie reste imprĂ©cise. On choisira la dĂ©finition partagĂ©e par la majoritĂ© des dictionnaires. Celle-ci renvoie lire Ă  legere cueillir, colliger, lier, Ă©lire ». Au XVIe siĂšcle, le français lire prend le sens de discerner », puis de comprendre » le sens de certains signes. La comprĂ©hension est elle-mĂȘme le rĂ©sultat du dĂ©chiffrage des lettres, ces derniĂšres Ă©tant le rĂ©sultat produit par l’écriture, laquelle signifie d’abord inciser, couper ». 62 Voir R. Sublon, L’Éthique ou la Question du sujet, Metz-Strasbourg, Éditions du Portique, 2004, p. ... 29L’étymologie de ces deux verbes annonce avec justesse la structure caractĂ©ristique de la lettre. Une telle structure est dite moebienne en ce sens que la coupure longitudinale du ruban de Moebius rĂ©vĂšle la particularitĂ© d’articuler l’identique et le diffĂ©rent62. On dira donc que le dĂ©chiffrage se confronte Ă  une structure de coupure oĂč Y un s’articule Ă  l’autre, c’est-Ă -dire n’est pas sans lui, comme Freud le constate, lui aussi, Ă  propos de V Unheimliche. Ces remarques permettent d’avancer que la lettre, en tant que condition de la lecture, est grosse d’un double effet un effet de sens en mĂȘme temps qu’un effet de suspens. En d’autres termes, le tracement de la lettre garde une ouverture. Elle interdit toute clĂŽture sur une signification ultime, qui dirait le vrai sur le vrai. Elle mĂ©nage donc la possibilitĂ© de relire. 30Freud n’a pas pris la peine de dĂ©finir la religion. Il a pourtant perçu qu’elle pouvait ĂȘtre une lecture - Ă  preuve celle qu’il fait du judaĂŻsme. On la poursuivra ici, Ă  titre d’illustration, en remontant toutefois, par-delĂ  MoĂŻse, au mythe d’Abraham, le pĂšre des croyants, commun aux trois religions du Livre. Ce mythe comporte, on le sait, la perspective d’un meurtre dont le fils est l’objet, et le pĂšre, l’acteur. On peut interprĂ©ter l’épisode en imaginant qu’Abraham prend ses prĂ©cautions pour Ă©viter le sort rĂ©servĂ© au pĂšre primordial. Cette anecdote n’a pas manquĂ© de susciter des commentaires variĂ©s qui, d’OrigĂšne Ă  Kierkegaard, Ă©maillent la thĂ©ologie chrĂ©tienne. La plupart des exĂ©gĂštes rĂ©duisent cet Ă©pisode Ă  un conflit psychologique, voire moral, et offrent des solutions tout aussi psychologiques ou morales qui consistent Ă  cĂ©lĂ©brer le renoncement Ă  la violence de la pulsion de mort ou Ă  exalter la spiritualisation possible de la religion. 63 J. Lacan, Des Noms-du-PĂšre, Paris, Éd. du Seuil, 2005, p. 87. 64 J. Lacan, Le SĂ©minaire. L’identification, inĂ©dit, sĂ©ance du 65 Ibid. 31Une telle lecture qui consiste Ă  se fier Ă  la purification des ĂȘtres et des idĂ©es ne semble pas, en thĂ©orie au moins, garantir la promesse faite par la divinitĂ© Ă  Abraham d’une immense descendance. Une autre lecture de l’Akeda, c’est-Ă -dire de la ligature d’Isaac, est possible. Elle en appelle Ă  une nĂ©cessitĂ© logique susceptible d’assurer une issue au drame qui se noue. Cette lecture met en scĂšne la fonction du nom propre et le caractĂšre essentiel de ce dernier d’ĂȘtre dĂ©pourvu de sens. Le sĂ©minaire consacrĂ© par Lacan Ă  VIdentification 1961-1962, puis Y Introduction aux Noms-du-PĂšre 1963, lui permettent de situer la fonction du nom propre en tant qu’il est une marque dĂ©jĂ  ouverte Ă  la lecture63 ». En choisissant Gardiner contre Russel, lequel ignore la fonction de la lettre dans le nom propre, Lacan souligne d’abord l’influence de John Stuart Mill 1806-1876 et du grammairien grec du IIe siĂšcle avant Dionysus Thrax, sur Gardiner. Pour le psychanalyste, Mill voit juste en ce qu’il distingue le nom propre du nom commun en recourant au sens Si quelque chose est un nom propre, c’est pour autant que ça n’est pas le sens de l’objet qu’il amĂšne avec lui, mais quelque chose qui est de l’ordre d’une marque appliquĂ©e en quelque sorte sur l’objet ». Lacan poursuit Je pose qu’il ne peut y avoir de dĂ©finition du nom propre que dans la mesure oĂč nous apercevrons le rapport de l’émission nommante avec quelque chose qui, dans sa nature radicale, est de l’ordre de la lettre64 ». Et pour finir il constate que, le figuratif effacĂ©, ce qui reste c’est quelque chose [du] trait unaire en tant qu’il fonctionne comme distinctif, qu’il peut Ă  l’occasion jouer le rĂŽle de marque65 ». 32Cette sĂ©rie d’affirmations permet d’identifier lettre, trait unaire et marque ouverte Ă  la lecture. La lettre attend la lecture et c’est Ă  ce niveau que se situe, pour finir, le Nom par excellence, le Shem, imprononçable en tant que tel, et qui s’ouvre sur une bĂ©ance au lieu de l’Autre. Cela Ă©tant, la relecture du mythe d’Abraham permet de pointer, en dehors du pathos ou du moralisme des interprĂ©tations habituelles, la condition de l’alliance, de la promesse et de la fĂ©conditĂ© dite spirituelle d’une religion qui serait du Livre. 66 Saint-Arnaud, La grĂące du ’troisiĂšme jour’ », Revue des Sciences Religieuses, 75 2001, p. ... 33RĂ©sumons Ă  grands traits le mythe qui met en scĂšne l’émission nommante » de la divinitĂ©, Ă©mission qui transporte quelque chose de la lettre. El Shaddai qui se nomme et promet l’alliance renomme Abram en ajoutant un hĂ© Ă  son nom. Abram devient Abraham. Puis est promulguĂ©e la condition de l’alliance tout mĂąle sera circoncis. La circoncision sera dĂ©sormais signe de la coupure d’une alliance. De son cĂŽtĂ©, l’épouse du patriarche est renommĂ©e Ă  son tour. Elle ne s’appellera plus SaraĂŻ, mais Sarah avec hĂ©, car elle aussi reçoit le trait de la marque, trait identique Ă  celui qu’a reçu Abraham. L’alliance se rĂ©vĂšle ainsi au lieu du redoublement de la marque, lĂ  oĂč s’écrit dans le nom et sur le sexe la diffĂ©rence qui constitue sa condition mĂȘme de possibilitĂ©. Cette diffĂ©rence repose sur ce fait, rappelĂ© par Guy-Robert Saint-Arnaud, que la marque ne peut devenir marque d’une diffĂ©rence que de la seule qualitĂ© de n’ĂȘtre pas l’autre marque. Ce n’est pas la non-identitĂ© d’un trait Ă  son voisin qui fait sa diffĂ©rence, mais le seul fait qu’il nĂ©cessite d’ĂȘtre Ă  la fois deux et un pour n’ĂȘtre pas le trait d’à cĂŽtĂ©66 ». 67 Lacan, Des Noms-du-PĂšre, p. 70. 34Si on rĂ©duit l’identitĂ© du sujet Ă  son statut social, on ne retiendra d’Abraham et de Sarah que le sens attachĂ© Ă  leur nom propre, ou bien la symbolique qui les fait pĂšre et mĂšre, patriarche et matriarche, mais encore frĂšre et sƓur, car issus l’un et l’autre du mĂȘme pĂšre. On pourra dĂšs lors gloser, thĂ©ologiser ou moraliser autour d’un inceste originaire comme on l’a fait pour la descendance d’Adam et Ève. En revanche, si on veut signifier un sujet qui se fonde et se dĂ©termine dans un effet du signifiant67 », une lettre est nĂ©cessaire et suffisante en tant qu’elle fonctionne comme trait marqueur. Cette lettre disqualifie l’entreprise qui cherche Ă  rĂ©aliser le symbolique de l’imaginaire, caractĂ©ristique, selon Lacan, de la religion. OpposĂ©e Ă  cette entreprise, le travail de la psychanalyse consiste Ă  imaginer le rĂ©el du symbolique et Ă  renoncer Ă  l’illusion qu’un tel travail pourrait aboutir Ă  sa fin grĂące Ă  la rĂ©cupĂ©ration du reste qu’il produit. 68 R. Heyer, Sacrifier la promesse ? », Revue des Sciences Religieuses, 79 2005, p. 413. 35Le dĂ©tour par la re-nomination d’Abram et de SaraĂŻ justifie ainsi une autre lecture de la religion, celle-ci Ă©tant liĂ©e Ă  la promesse. Partant de l’Akeda, RenĂ© Heyer, confrontĂ© Ă  ce problĂšme, constate que la promesse bute sur la finitude oĂč Ă©choue toute promesse rĂ©alisĂ©e. Ainsi ce fils tard venu, Isaac, qui tombe comme tous les fils sous le coup de la mortalitĂ©. Que vaut en effet une promesse si ce que l’on en obtient se perd dĂšs que reçu ? Il faut donc qu’à travers la promesse accordĂ©e se maintienne son ouverture de promesse68 ». 36Quelle meilleure façon peut-on alors imaginer pour garder cette ouverture que celle d’assurer la possibilitĂ© de la lecture que la lettre conditionne ? Son trait est Ă©crit dans le nom et dans la coupure de l’Alliance. Il est tracĂ© sur l’organe de la gĂ©nĂ©ration. Celui-ci n’est plus tout. SaraĂŻ, de son cĂŽtĂ©, a perdu le yod de l’origine. La lettre inscrite dans la chair et dans le nom invite tout lecteur possible Ă  y lire la passe de l’affiliation. Celle-ci consiste Ă  assentir Ă  l’impossible saisie d’une origine pour relire la trace d’une coupure. 69 Freud, Totem et tabou, p. 185. 70 Goethes Werke, MĂŒnchen, Droemersche Verlag Anstalt, 1953,I, p. 746. Jean Malaplate le traduit D ... 71 Goethe, Faust I et II, p. 63. 37L’origine est barrĂ©e. Freud, pourtant, achĂšve Totem et tabou sur une citation au commencement Ă©tait l’action69 ». À quoi cette citation renvoie-t-elle ? Au dilemme faustien, bien sĂ»r. ConfrontĂ© Ă  la lecture du premier verset de l’Évangile selon saint Jean, Goethe y voit un texte fondateur Im Anfang war das Wort !70 ». Mais quoi ? Le mot Ă©crit-il le destin ? Le nom emporte-t-il la chose ? Et si c’était le Sens qui primait sur le reste ? Serait-ce alors le Sens qui crĂ©e et qui fait vivre ? Et si c’était la Force ?... Il faut aller plus loin ; l’Esprit meut l’intuition qui permet de tracer Dans le commencement existait l’Action71 ». 72 Freud, Totem et tabou, p. 185. 38Freud a lu ce passage du poĂšte. Comme lui, il pose dans le commencement l’acte. Ce choix est la coupure qui achĂšve son parcours en l’ouvrant sur l’éthique. Celle-ci exige que le choix soit possible das Wort ou die Tat ? Car l’un n’est pas sans l’autre. Le choix impliquant une perte, Freud conclut Sans prĂ©tendre clore la discussion [..] par une dĂ©cision dĂ©finitive et absolue, nous pouvons risquer cette proposition ’au commencement Ă©tait l’action’72 »... Dans le commencement le tracement de la lettre mĂ©nageait le possible. Haut de page Notes 1 S. Freud, Actes obsĂ©dants et exercices religieux », L’Avenir d’une illusion, Paris, PUF, 1971, p. 83. 2 Ibid. 3 Ibid., 4 S. Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, Paris, Gallimard, coll. IdĂ©es », 1948, p. 76. 5 Freud, Actes obsĂ©dants et exercices religieux », p. 86. 6 Ibid., p. 90. 7 Ibid., p. 92. 8 Ibid., p. 93. 9 Ibid., p. 94. 10 S. Freud, Totem et tabou, Paris, Petite BibliothĂšque Payot, 1965, p. 162. 11 Ibid.,p. 163. 12 Ibid. 13 Ibid., p. 164. 14 Ibid., p. 165. 15 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 49. 16 Ibid., p. 39. 17 Freud, Totem et tabou, p. 179. 18 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 44. 19 S. Freud , Malaise dans la civilisation », Revue française de psychanalyse, Paris, PUF, XXXIV, janvier 1970, p. 50. 20 Voir ibid., p. 77. 21 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 29. 22 Ibid.,p. 70. 23 Ibid., p. 77. 24 Ibid.,p. 78. 25 Freud, Malaise dans la civilisation », p. 79. 26 Ibid. 27 D. Bakan, Freud et la mystique juive,Paris, Petite BibliothĂšque Payot, 1977, 119. 28 M. Schur, La Mort dans la vie de Freud, Paris, Gallimard, 1975, p. 555. 29 Bakan, Freud et la mystique juive, p. 119. 30 Ibid.,p. 47. 31 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 7. 32 Ibid. 33 Ibid., p. 94. 34 Ibid., p. 80. 35 Ibid., p. 144 s. 36 Ibid., p. 116. 37 Ibid.,p. 117. 38 Ibid. 39 Ibid.,p. 119. 40 Ibid., p. 120. 41 Schur, La Mort dans la vie de Freud, p. 554. 42 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 77. 43 Ibid.,p. 75. 44 Bakan, Freud et la mystique juive, p. 61. 45 Freud, L’Avenir d’une illusion, p. 75. 46 Ibid.,p. 76. 47 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 149-150. 48 Ibid.,p. 151. 49 Ibid.,p. 152. 50 Ibid. 51 Ibid., p. 154. 52 Ibid., p. 154-155. 53 K. Stern, La TroisiĂšme RĂ©volution. Essai sur la psychanalyse et la religion, Paris, Éd. du Seuil, 1969, p. 103 et 111. 54 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 76. Nous soulignons. 55 Freud, Actes obsĂ©dants et exercices religieux », p. 83. 56 Voir GOUX, Les Iconoclastes, Paris, Éd. du Seuil, 1978. 57 S. Freud, Essai de psychanalyse appliquĂ©e, Paris, Gallimard, coll. IdĂ©es »,1933, p. 174. 58 A. Rey dir., Dictionnaire historique de la langue française, Paris, Dictionnaires Le Robert, 1992, article Religion », p. 1758. 59 Freud, MoĂŻse et le monothĂ©isme, p. 125. 60 Ibid. 61 Ibid. 62 Voir R. Sublon, L’Éthique ou la Question du sujet, Metz-Strasbourg, Éditions du Portique, 2004, p. 79-80. 63 J. Lacan, Des Noms-du-PĂšre, Paris, Éd. du Seuil, 2005, p. 87. 64 J. Lacan, Le SĂ©minaire. L’identification, inĂ©dit, sĂ©ance du 65 Ibid. 66 Saint-Arnaud, La grĂące du ’troisiĂšme jour’ », Revue des Sciences Religieuses, 75 2001, p. 351. 67 Lacan, Des Noms-du-PĂšre, p. 70. 68 R. Heyer, Sacrifier la promesse ? », Revue des Sciences Religieuses, 79 2005, p. 413. 69 Freud, Totem et tabou, p. 185. 70 Goethes Werke, MĂŒnchen, Droemersche Verlag Anstalt, 1953,I, p. 746. Jean Malaplate le traduit Dans le commencement Ă©tait le Verbe » Goethe, Faust I et II, trad. J. Malaplate, Paris, GF-Flammarion, 1984, p. 63. On pourra aussi se rĂ©fĂ©rer Ă  la traduction de GĂ©rard de Nerval, dans Goethe, Faust, Paris, GF-Flammarion, 1964, p. 67 Au commencement Ă©tait le verbe ! ». 71 Goethe, Faust I et II, p. 63. 72 Freud, Totem et tabou, p. de page Pour citer cet article RĂ©fĂ©rence papier Roland Sublon, Freud et la religion ou le choix du commencement », Revue des sciences religieuses, 82/1 2008, 65-79. RĂ©fĂ©rence Ă©lectronique Roland Sublon, Freud et la religion ou le choix du commencement », Revue des sciences religieuses [En ligne], 82/1 2008, mis en ligne le 10 octobre 2012, consultĂ© le 28 aoĂ»t 2022. URL ; DOI de page Auteur Roland Sublon FacultĂ© de thĂ©ologie catholique UniversitĂ© Marc Bloch StrasbourgHaut de page Droits d'auteur Tous droits rĂ©servĂ©sHaut de page
Cepoint oĂč le langage s'Ă©puise. Jacques Lacan est mort le 9 septembre 1981, il avait 80 ans, des problĂšmes neurologiques l'empĂȘchaient alors de parler. Il s'en est allĂ© vers ce rĂ©eldonc, cet impossible Ă  dire, comme si son corps, en l'amputant de la parole, en avait compris, lui, quelque chose. Notre psychanalyste : Lilia Mahjoub
J. Lacan, en 1955-1956, définit la psychose comme une modalité de dire non à la castration - c'est la la Verwerfung forclusion du signifiant du Nom-du PÚre dans l'Autre du langage. S'en déduit une clinique discontinuiste les concepts structuraux - présence ou absence du Nom-du-PÚre - permettent d'élaborer des classes et de répondre dans le registre du certain. La fin de son enseignement années 1970-1980 ouvre une autre perspective " Si l'Autre existe, on peut trancher par oui ou non ... quand l'Autre n'existe pas, on n'est pas simplement dans le oui-ou-non, mais dans le plus-ou-moins ... " Miller - 1998. Cette clinique nouvelle de l'à-peu-prÚs, de l'approximation, est continuiste. Elle n'exclut ni la rigueur ni la postulation du mathÚme. La psychose y devient un concept étendu, nullement épuisé par les seules formes des psychoses psychiatrisées. Il y a des sujets sans phénomÚnes élémentaires, sans troubles du langage, sans délire, sans errance, etc. Ils relÚvent de la psychose ordinaire. Quelle clinique pour ces sujets ? Quelle place pour le psychanalyste ? Ce court essai rassemble deux séries de cas. Dans la premiÚre, des sujets psychotiques s'adressent à un analyste - au cabinet pour certains, dans le cadre hospitalier d'une présentation de malades pour d'autres. Quels " bricolages " vont-ils trouver - ou ne pas trouver - grùce au dispositif analytique ? Dans la seconde, trois cas de psychoses extraordinaires Rousseau, Schreber, A. Artaud trouvent leur issue dans un passage à l'écriture. Chaque cas démontrera qu'effectivement " ne devient pas fou qui veut " J. Lacan - 1946 !

EspacesLacan. Espaces index. étapes Propos sur la causalité psychique J.Lacan, Bonneval "Ne devient pas fou qui veut." Mais c'est aussi que n'atteint pas qui veut, les risques qui enveloppent la folie. Un organisme débile, une imagination déréglée, des conflits dépassant les forces n'y suffisent pas. Il se peut qu'un corps de fer, des identifications puissantes, les

Faut-il avoir l'air fou pour l'ĂȘtre ? Peut-on l'ĂȘtre sans en avoir l'air et peut-on aussi en avoir l'air et ne pas l'ĂȘtre ? Voici quelques remarques et questions issues de ma clinique en institution A partir de situations d'adolescents hospitalisĂ©s, cette question de la psychose et de ce qu'il en serait de la spĂ©cificitĂ© de l'autisme et autres TED ou TSA pose celle de la nĂ©cessitĂ© ou non de soins psychiatriques pour certains. Il/elle n'a rien Ă  faire là», peut-on en effet entendre assez rĂ©guliĂšrement, ce qui reviendrait Ă  penser qu'il n'y aurait pas de soins nĂ©cessaires pour un enfant autiste, par exemple. D'une certaine façon, ceci peut apparaĂźtre rassurant, puisque cette remarque ne s'adresse pas aux seuls diagnostiquĂ©s ainsi, les remettant du mĂȘme coup au mĂȘme banc que les autres! Je crois que ce qu'il m'arrive le plus souvent d'avoir envie de dire, lors des rĂ©unions de service, en me rĂ©fĂ©rent au propos de M. Czermak dans La navigation astronomique c'est on ne peut - tout de mĂȘme - pas leur reprocher leurs symptĂŽmes, pour lesquels ils viennent nous consulter ou sont hospitalisĂ©s». La psychose est toujours sociologiquement incorrecte» dira-t-il aussi. Voici lĂ  posĂ©e une indication, que j'aimerais plus universelle dans son acception, qui peut-ĂȘtre va de soi ici et qui cependant reste si difficile Ă  faire accepter, sinon respecter dans nos institutions. Alors bien sĂ»r, c'est peut-ĂȘtre, particuliĂšrement Ă  l'adolescence que les manifestations symptomatiques sont le plus difficiles Ă  dĂ©brouiller, Ă  dĂ©brouillonner», suscitant facilement du rejet au regard d'un certain non sens... bien loin d'une neutralitĂ© bienveillante. Jouent-ils au fou, le sont-ils vraiment ? Le rejet de toute Ă©tiopathogĂ©nie dans l'autisme, accentuĂ© par cette sĂ©paration psychose infantile/autisme, mais aussi bien dans tout le champ psychiatrique avec les nouvelles classifications qui n'ont plus de visĂ©es psychopathologiques mais simplement Ă©pidĂ©miologiques et pharmacologiques, accentue cette difficultĂ© Ă  considĂ©rer ce qu'il en est du soin, au risque que ça fasse violence, hors sens tout simplement. Cette formule de Lacan Ne devient pas fou qui veut » reste pour moi toujours un repĂšre dans ces questions diagnostiques, formule d’humour» dit-il... et pourtant si sĂ©rieuse Ă  considĂ©rer dans la clinique. Difficile en effet de reconnaĂźtre les modalitĂ©s auxquelles un adolescent a recours pour tenter de mettre en jeu une subjectivitĂ© qui, pourquoi pas, s'est trouvĂ©e chahutĂ©e par le RĂ©el du sexuel de la pubertĂ©. Mon questionnement s'appuie sur la question du transfert et de ses diffĂ©rentes modalitĂ©s, puisque, rappelons-le, la premiĂšre institution est le transfert. Dans la psychose, qu'est-ce qui peut rendre le transfert, en institution et avec des adolescents psychotiques, difficile ? Que faire avec ces adolescents autistes de bon niveau, Asperger ou autres TED qui ne semblent pas aller mal ? Mais qu'est-ce qui rend tout aussi bien difficile l’accueil d'une symptomatologie hystĂ©rique, entendue alors comme une façon de jouer au fou ? Mais tout aussi bien qu'est-ce qui donne Ă  penser une hystĂ©rie par rapport Ă  une psychose Ă  l'adolescence ? Du petit grain de folie Ă  la folie, quels repĂšres Ă  l'adolescence sinon d'abord le transfert. Comment se faire l'interprĂšte et le traducteur dans la psychose, dans l'autisme, mais aussi bien dans certaines hystĂ©ries et auprĂšs de qui ? Du patient lui-mĂȘme tout autant que du soignant en manque de boussole ? Comment se faire l'interprĂšte de leurs symptĂŽmes ? Et pourquoi cela peut-il rater ? Ma proposition pour cette journĂ©e va consister Ă  poser quelques unes des interrogations que la clinique en institution soulĂšve quotidiennement pour moi. Non pour y apporter une rĂ©ponse mais pour partager ici ces difficultĂ©s en vue d'un Ă©change. Je me souviens par exemple de cette indication de Corinne Tyszler Ă  propos des adolescents psychotiques non dĂ©compensĂ©s Ne pas trop les pousser Ă  subjectiver si ils sont psychotiques, au risque sinon de les faire dĂ©lirer» J'interroge aussi la pertinence d'ateliers thĂ©rapeutiques avec les autistes, qui favorisent la production imaginaire par exemple ? Mais aussi je prends appui sur cette remarque de Charles Melman Que faire face Ă  un organisme qui reste dĂ©shabitĂ© ?» Toute approche institutionnelle doit ĂȘtre Ă©ducative, pĂ©dagogique mais aussi thĂ©rapeutique. Et comment donc concilier ces diffĂ©rentes composantes ? MĂ©thodes Ă©ducatives et comportementales qui bien entendu ne sont pas exemptes des questions en institution mais nous savons que toute rĂ©ponse standardisĂ©e, risque de ne pas tenir compte de la particularitĂ© de la structure. L'exclusivitĂ© d'une rĂ©ponse Ă©ducative est contestable. C'est le fait clinique singulier qui doit guider notre pratique. Tyszler indiquait dans son article Autisme pour qui sonne le glas ?» que les problĂšmes posĂ©s par les recommandations sont graves et vont directement influencer la vie de nos services puisque sous le terme TED, se trouvent en fait rĂ©unies des affections variĂ©es, souvent encore mal dĂ©limitĂ©es autisme et psychose infantile en particulier. Faut-il entendre que tout trouble grave du dĂ©veloppement sort dĂ©sormais du suivi habituel des unitĂ©s de pĂ©dopsychiatrie au profit d'une prise en charge exclusivement Ă©ducative et comportementale ?» La dimension institutionnelle doit ĂȘtre entendue dans sa fonction organisatrice du soin. Et c'est cette question que la clinique au quotidien avec des adolescents interroge actuellement. Une nomination» diagnostique a souvent Ă©tĂ© posĂ©e avant mĂȘme que nous les recevions, et nous devons en tenir compte, que le diagnostique s'avĂšre juste ou non d'ailleurs. Ne devient pas fou qui veut» Actuellement comme la cause n'est plus, il semblerait que la formule soit oubliĂ©e. Dans son texte, datĂ© de 1946, Propos sur la causalitĂ© psychique », J. Lacan Ă©crit Loin donc que la folie soit le fait contingent des fragilitĂ©s de son organisme, elle est la virtualitĂ© permanente d’une faille ouverte dans son essence. Loin qu’elle soit pour la libertĂ© une insulte», elle est sa plus fidĂšle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre. Et l’ĂȘtre de l’homme, non seulement ne peut ĂȘtre compris sans la folie, mais il ne serait pas l’ĂȘtre de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme la limite de sa libertĂ©. Et pour rompre ce propos sĂ©vĂšre par l’humour de notre jeunesse, il est bien vrai que, comme nous l’avions Ă©crit en une formule lapidaire au mur de notre salle de garde “Ne devient pas fou qui veut.” » Dans son allocution sur les psychoses de l'enfant», Ă  l'occasion de journĂ©es organisĂ©es par Maud Mannoni sur ce thĂšme , l'enfant, la psychose et l'institution» 22/10/67 Lacan regroupe les trois thĂšmes de l'enfant, la psychose et l'institution pour nous dire que nulle part plus qu'en ces trois thĂšmes, soit Ă©voquĂ©e plus constamment la libertĂ©.» et donne les coordonnĂ©es de l'aliĂ©nation du sujet, structurale, du fait mĂȘme de son rapport au langage. Le refus de l'aliĂ©nation fait en effet d'un sujet psychotique le sujet libre par excellence. Ce refus de l'aliĂ©nation est bien sĂ»r diffĂ©rent du refus nĂ©vrotique. Et cependant certaines modalitĂ©s de refus sont difficiles Ă  cerner Ă  cet Ăąge, l'adolescence, dont C. Melman rappelle qu'il est dĂ©ception face Ă  l'ordre symbolique». Cette disposition Ă  la dĂ©ception s'inaugure Ă  cet Ăąge, dans le champ de la nĂ©vrose. Tout autre est le destin du psychotique Ă  l'adolescence. Lacan poursuit Ă  l'intĂ©rieur du collectif, le psychotique essentiellement se prĂ©sente comme le signe, signe en impasse, de ce qui lĂ©gitime la rĂ©fĂ©rence Ă  la libertĂ©.», reprenant lĂ  le propos de Jean Oury dans ces mĂȘmes journĂ©es. Dans son Discours de Rome» en 53, Lacan parle dĂ©jĂ  de la psychose comme de cette libertĂ© nĂ©gative d'une parole qui a renoncĂ© Ă  se faire reconnaĂźtre et la caractĂ©rise par la formation d'un dĂ©lire qui objective le sujet dans un langage sans dialectique. Dans le discours de Lacan aux psychiatres, il nous dit que l'angoisse devant la psychose est liĂ©e au fait que devant un psychotique qui ne demande rien, c'est nous qui demandons» Et ce sont sĂ»rement lĂ  des points importants dans la difficultĂ© Ă  recevoir certains jeunes. À Bonneval donc en 1946, lors de ces journĂ©es consacrĂ©es Ă  la PsychogenĂšse des Psychoses et des NĂ©vroses, s'explicitait un point de discorde entre H. Ey et J. Lacan Ă  propos des rapports entre folie et libertĂ©. La dĂ©sormais cĂ©lĂšbre phrase de Lacan, Ă©tait censĂ©e le cristalliser "L'ĂȘtre de l'homme, non seulement ne peut ĂȘtre compris sans la folie, mais il ne serait pas l'ĂȘtre de l'homme s'il ne portait en lui la folie comme limite de la libertĂ©". Lacan se devait, Ă  ce moment lĂ , de contredire l’organo-dynamisme dont s'Ă©tait fait le promoteur.» À cette question posĂ©e par de ce qu'il en est de la maladie mentale, il affirme lui une causalitĂ© psychique qu’il repĂšre dans la discordance primordiale entre le Moi et l’ĂȘtre », et il s'emploie Ă  dĂ©velopper les effets psychiques du mode imaginaire». La folie y trouve lĂ  sa structure fondamentale » nous dit-il. Le risque de la folie se mesure Ă  l'attrait mĂȘme des identifications oĂč l'homme engage Ă  la fois sa vĂ©ritĂ© et son ĂȘtre.» [...] le premier effet qui apparaisse de l’imago chez l’ĂȘtre humain est un effet d’aliĂ©nation du sujet. C’est dans l’autre que le sujet s’identifie et mĂȘme s'Ă©prouve tout d'abord[...] » Marc Morali dans son article un autisme peut en cacher un autre» rappelle que Lacan lors de ses journĂ©es de Bonneval avait clarifiĂ© la question de la psychogenĂšse le secret de la psychogenĂšse des psychoses, c'est qu'il n'y en a pas». Charles Melman rappelle d'ailleurs que le dĂ©bat entre organogenĂšse et psychogenĂšse est caduc, puisque la vie psychique a sa matĂ©rialitĂ© propre, celle du langage, la motĂ©rialitĂ©.» Cf billet d'actualitĂ© Ă  propos des dĂ©bats sur l'autisme et de la position de notre association 11/03/2014 Marie-Christine Laznik parle d'une psychogenĂšse de l'autisme qui consiste dans le lent travail de destruction des compĂ©tences parentales que cette pathologie produit. La question Ă©tant de savoir si la psychanalyse, dans sa praxis, peut avoir de quoi permettre Ă  un enfant, un bĂ©bĂ© de dĂ©couvrir le plaisir de susciter le plaisir chez l'autre. Les premiers sĂ©minaires de Lacan prĂ©cisent progressivement son approche de la psychose, notamment bien sĂ»r le sĂ©minaire III, Les structures freudiennes des psychoses» , en 1955-1956, complĂ©tĂ© de l'article D’une question prĂ©liminaire Ă  tout traitement possible de la psychose » fin 1957-dĂ©but1958. NĂ©vrose, psychose ou perversion se distinguent par des effets de structure et pour autant bien sĂ»r, Ne devient pas fou qui veut» toujours! Les structures cliniques sont dĂ©terminĂ©es dans leur rapport particulier Ă  la castration, pour le psychotique la forclusion Verwerfung, pour le nĂ©vrosĂ© le refoulement VerdrĂ€ngung et pour la perversion le dĂ©ni Verleugnung . L'articulation des trois catĂ©gories du RĂ©el, de l'Imaginaire et du Symbolique permet d'Ă©clairer et de donner de nouvelles ficelles Ă  la clinique. Dans son premier sĂ©minaire Ă©crits techniques», il indique dĂ©jĂ  comment ce qui n'est pas venu au jour du Symbolique, apparaĂźt dans le RĂ©el.» C'est dans la rĂ©ponse au commentaire de Jean Hyppolite sur la Verneinung de Freud. L'enfant psychotique est dans un rapport particulier avec le RĂ©el. L'enfant autiste serait aussi confrontĂ© au pur RĂ©el. Pour E-M Golder, Au seuil de la clinique infantile» si tout enfant est pris dans la double partition dĂ»e Ă  la naissance et Ă  sa rencontre avec le fait du langage, l'autiste ne rĂ©pĂšte qu'une seule chose sa confrontation avec la bĂ©ance que celui-ci introduit. L'autiste est confrontĂ© au pur RĂ©el comme trou dans le symbolique.» Comme si l'enfant avait affaire Ă  la faille dans le langage et c'est tout. Un organisme non dĂ©naturĂ© par le langage. Elle Ă©voque la maniĂšre dont la naissance s'est dĂ©roulĂ©e qui aurait empĂȘchĂ© le processus structural propre Ă  ce moment. Elle parle d'un accident de l'encontre, un accident de l'appel et de l'adresse. A un moment oĂč la mĂšre est confrontĂ©e Ă  un enfant RĂ©el, il y a trou dans le symbolique. Cela me rappelle ce jeune homme autiste que je revois Ă  mon cabinet aprĂšs l'avoir suivi plus jeune au CMP ; sa mĂšre se plaint» Il rĂ©pĂšte toujours la mĂȘme chose, c'est pĂ©nible, c'est insupportable» Quand je lui demande de prĂ©ciser ce que son fils rĂ©pĂšte ainsi “Je m'en souviens plus !” E-M Golder sĂ©pare ou distingue le refoulement originaire qui met en place un lieu, dans un nouage RĂ©el/ Symbolique du refoulement primaire qui permet une inscription dans un nouage Imaginaire/ Symbolique. Est-ce offrir lĂ  la possibilitĂ© d'un diagnostic diffĂ©rentiel entre autisme et psychose infantile, entre refoulement originaire et refoulement primaire ? M-C Laznik rappelle dans son article sur l'autisme qu'il n'y a pas d'absence s'il n'y a pas dĂ©jĂ  prĂ©sence» et que concernant l'autisme, la non mise en place du rapport symbolique fondamental est liĂ© Ă  ce dĂ©faut de la prĂ©sence originelle mĂȘme de l'Autre et non au dĂ©faut du temps absence comme dans la clinique d'autres Ă©tats psychotiques.» Si le ratage du processus de subjectivation est diffĂ©rent, comment concilier des soins ? Dans l'autisme c'est le processus d'aliĂ©nation lui-mĂȘme qui rate, dans la psychose, c'est le processus de sĂ©paration qui est en jeu. Y a-t-il inflĂ©chissement de l'autisme vers la psychose infantile ? Doit-on travailler dans ce sens ? C. Melman parle d'une affection prĂ©psychotique. Si la psychose en effet est le rĂ©sultat des dĂ©mĂȘlĂ©s avec le langage, l'autisme infantile est le fait d'avoir Ă©tĂ© dĂ©mĂȘlĂ© du langage» Dans l'autisme, tout se passe comme si l'enfant ne se laissait pas pĂ©nĂ©trer par quelque chose. Ce qui donne un nouage autre. De cet imaginaire dĂ©faillant, se constitue un stock d'expĂ©riences, de donnĂ©es peut-ĂȘtre diffĂ©rent effectivement de ce que l'on rencontre dans la psychose oĂč il s'agit d'un imaginaire sans moi, comme le rappelle M. Czermak. L'autiste n'est pas un enfant d'Ă©ros» disait C. Melman, il n'y a pas eu la possibilitĂ© de cette connivence, de cette Ă©rotisation nĂ©cessaire Ă  l'acquisition du langage», d'oĂč cette difficultĂ© de travail avec eux. Il nous dit combien l'autisme infantile est le domaine oĂč peut se montrer aux plus aveugles le rĂŽle dĂ©terminant de la prise par le langage dans le dĂ©veloppement du bĂ©bĂ©.» Encore justement ne faut-il pas ĂȘtre aveugle pour visionner ces vidĂ©os ! Alors pour ces adolescents au diagnostique flou ? Ces crĂ©atures plus ou moins dociles, mais dĂ©shabitĂ©es ? Si l'autisme reste une maladie de la relation, quels soins ? Puisque nĂ©anmoins ils sont hospitalisĂ©s, au dĂ©cours de difficultĂ©s d'inscription sociale, mais aussi au regard d'une certaine souffrance. Peut-ĂȘtre sans demande particuliĂšre mais avec des symptĂŽmes qu'on ne peut leur reprocher donc et qui ne sont pas simplement des troubles. L'institution a pour fonction de traiter le RĂ©el et de cette libertĂ© paradoxale bien entendu, il ne s'agit pas d'en faire l'Ă©loge ou la promotion mais bien de voir comment une armature symbolique peut ou non faire supplĂ©ance pour un sujet. Voici plusieurs petites vignettes cliniques sur cette question de l'apparente libertĂ© dans la psychose et/ou l'autisme et de ce vers quoi doit tendre notre travail. Reprenons encore Lacan dans la conclusion de son allocution sur les psychoses de l'enfant» Quelle joie trouvons-nous dans ce qui fait notre travail ?» Un psychotique doit-il participer aux tĂąches mĂ©nagĂšres ? Et un autiste alors ? Quelles seraient les recommandations de bonnes pratiques en institution hospitaliĂšre ? Alors doivent-ils tous participer de la mĂȘme façon Ă  la vie du service ? Oui bien sĂ»r, aussi bien que Non et dans quelle mesure le coup de balai souhaitĂ© par le soignant risque-t-il de faire mal ? Coup de balai... non pas sur les soldes ou sur une liquidation quelconque, sinon symbolique avec le risque de recevoir un coup avec le balai. Alors bien sĂ»r cette Ă©quitĂ© des tĂąches, ce souhait d'un fonctionnement qui serait le mĂȘme pour tous semble ĂȘtre une boussole pour les soignants plus aisĂ©e que celle qui consiste Ă  repĂ©rer pour chacun des patients ce qu'il peut ou ne peut pas, tenant compte de sa pathologie. C'est le cas pour cette patiente psychotique qui ne peut que donner un coup de balai, ne peut pas passer le balai. IncomprĂ©hension de l'Ă©quipe, risque d'une certaine maltraitance Ă  vouloir insister, on lui en fait donc le reproche Elle ne peut pas faire que ce qu'elle veut». Autre interrogation, ceux qui sont lĂ  pour rien». C'est lĂ  le reproche qu'on leur fait. V. 13 ans. Naissance dans le sud, dĂ©mĂ©nagement Ă  6 ans pour le travail du pĂšre, sa mĂšre travaille aussi, deux sƓurs. SĂ©paration des parents il y a un an, un week-end sur deux chez le pĂšre. Mr et Mme viennent ensemble accompagner V Ă  son entrĂ©e dans le service et spontanĂ©ment pensent ĂȘtre reçus ensemble par le mĂ©decin responsable. Lors de notre premiĂšre rencontre, V rĂ©pond volontiers Ă  mes questions mais sans plus, sans rien de plus. Il est hospitalisĂ© depuis quelques jours. Avant je rĂ©pĂ©tais que je voulais mourir, que j'Ă©tais nul. Mais c'est bon lĂ , j'ai arrĂȘtĂ© de rĂ©pĂ©ter. Ça fait longtemps, c'Ă©tait il y a 3 semaines. J'ai rien lĂ . Je veux rentrer chez moi » Je lui demande ce qui se passe - ce qui me manque c'est ma maison et maman.» ⁃ Et vos soeurs ? » ⁃ Non », Le Dr, pour m'embĂȘter, il a dit, je vais l'emmener lĂ -bas. J'ai rien ». Accepte de me dire un peu son histoire, j'ai un petit peu un trouble envahissant du dĂ©veloppement, depuis petit je vais voir des personnes ». Ne peut dire plus, ni les noms ni les qualitĂ©s des professionnels. Ne connait pas les prĂ©noms des autres jeunes hospitalisĂ©s avec lui. Ne sait pas dans quelle Ă©cole sa mĂšre travaille. En difficultĂ© scolaire, trop difficile l'anglais et les maths ». Je lui demande s'il souhaiterait de l'aide, Non ». Au 2Ăšme entretien, Ă  la question de savoir comment il se sent, il me rĂ©pond mal, comme d'habitude». Et ce sera toujours cette mĂȘme rĂ©ponse, Ă  chaque entretien. Je note ici qu'il lui est difficile de repĂ©rer le registre de l'Ă©nonciation de celui de l'Ă©noncĂ©. Il n'entend que l'Ă©noncĂ© qui lui semble du coup tout Ă  fait rĂ©pĂ©titif d'une sĂ©ance Ă  l'autre. Rien ne s'entend de mon Ă©nonciation, juste un Ă©noncĂ©. M-C Laznik rappelait comment cela leur restait inouĂŻ ce que dit Lacan dans l'Ă©tourdit Qui parle s'oublie dans ce qui se dit derriĂšre ce qui s'entend». Il ne semble pas repĂ©rer quelque chose de l'affect dans la voix, qui se rĂ©duit donc pour lui Ă  un Ă©noncĂ© Cf l'interview de M-C L par Paule Cacciali et Josiane Froissart dans un JFP. S. Calmettes parlait de cette question de l'exactitude dans l'autisme, pas de la vĂ©ritĂ©, puisqu'il n'y a pas de possibilitĂ© de sous-entendu, ce qui rend le parler singulier, un parler sans voix, une langue sans perte, une langue exacte mais immobile. Peu prolixe, il s'exprime sur un ton monocorde, sans hĂ©sitation aucune. Il semble en difficultĂ© avec le temps. Il n'exprime ni besoin, ni demande, semble subir la situation d'hospitalisation. A vu sa mĂšre la veille au soir en visite, ne lui a pas demandĂ© de rentrer. Je m'intĂ©resse Ă  ce qu'il a fait dans le service la veille, avec qui il Ă©tait en atelier et lĂ  encore impossible de dire les prĂ©noms des autres jeunes. Je lui fais remarquer et il est d'accord j'ai du mal Ă  retenir les prĂ©noms et les noms». Je lui reparle de l'anglais, de la langue anglaise. Il me dit avoir dĂ©jĂ  Ă©tĂ© Ă  Londres c'est bon, j'ai tout visitĂ©.» Il me cite alors les marques de voitures qu'il a vues, car c'Ă©tait un dimanche, Ă  Londres des Maserati, des Lamborghini, des Ferrari ». Manifestement un bon souvenir. Pas de problĂšme ici de mĂ©moire pour les marques de voiture y’en a une Ă  la gare, qui fait taxi, si vous voulez.» Spectre autistique ou TED ? DiagnostiquĂ© par le CRA Centre de ressource pour l'autisme Trouble envahissant du dĂ©veloppement non spĂ©cifiĂ© d'intensitĂ© lĂ©gĂšre avec compĂ©tences cognitives normales supĂ©rieures. Le motif de l'hospitalisation est finalement quand mĂȘme celui d'une Ă©valuation diagnostique, au regard de ce qui est considĂ©rĂ© comme soit - un autisme atypique - un syndrome d'Asperger - un TED non spĂ©cifique. C'est finalement la prĂ©sence d'un trouble anxieux associĂ© qui interpelle l'Ă©quipe du CRA, interrogation face Ă  un syndrome dĂ©pressif avec mise en scĂšnes morbides de sa propre mort». Faut-il ou non un traitement pour cet enfant ? Dans le dossier du CRA, il est notĂ© au titre de l'anamnĂšse que les premiĂšres inquiĂ©tudes des parents ont commencĂ© peu avant 2 ans lorsque la famille a dĂ©mĂ©nagĂ© et que la premiĂšre de ses sƓurs est nĂ©e. Je garde en mĂ©moire cette indication de Pierre Delion sur le fait que lorsque les parents signalent une diffĂ©rence inquiĂ©tante dans le dĂ©veloppement de leur enfant, ils ont raison. Bien sĂ»r je retiens cette question de sa difficultĂ© avec les noms. E-M Golder, dans Au seuil de la clinique infantile, Ă©voque au travers d'un cas d'enfant ce qui dit-elle est un signe de la psychose infantile, la difficultĂ© de diffĂ©rencier le patronyme du prĂ©nom». Elle cite M. Czermak dans Patronymies p 143 Le nom n'est pas -comme tel- un rĂ©fĂ©rent, mais ce Ă  partir de quoi il peut y avoir de la rĂ©fĂ©rence» Ici on a l'impression que les prĂ©noms ne sont pas arrimĂ©s Ă  un sujet. Comment ça va ?» Comme d'habitude.» Une certaine forme d'incrĂ©dulitĂ© dans le ton, ma question rĂ©pĂ©tĂ©e ainsi Ă  chaque rencontre... Il ne se sent pas vraiment concernĂ© par ma question. Je suis surprise de le voir les larmes aux yeux. Le mĂ©decin psychiatre lui a parlĂ© de reprendre sa scolaritĂ© Ă  partir de l'hospitalisation, ce qu'il ne veut pas ; Il lui a demandĂ© d'y rĂ©flĂ©chir jusqu'au lendemain ça sert Ă  rien d'y rĂ©flĂ©chir, c'est non. Je ne veux pas. Je lui ai dit. Demain ce sera pareil J'ai besoin de voir ma mĂšre le matin, d'ĂȘtre chez moi.» En mĂȘme temps me redit qu'il ne veut pas reprendre l'Ă©cole, ça sert Ă  rien, c'est fait pour embĂȘter...» ; aucune interrogation possible. Ces larmes sont-elles juste d'Ă©nervement ou de tristesse ? Sa mĂšre est en arrĂȘt de travail depuis son hospitalisation elle ne sait pas quand je sors, donc elle ne peut pas travailler». Difficile pour l'Ă©quipe de travailler avec ce jeune garçon qui ne semble pas souffrir, n'accepte pas son hospitalisation, ne pose pas de problĂšme particulier sinon cette rigiditĂ© et froideur. Que peut-on lui apporter ? D'une certaine façon, c'est un jeune homme sans symptĂŽme, comme un certain nombre d'autres adolescents autistes que nous recevons, avec quelques troubles des conduites et des comportements. François Benrais dans son article un psychanalyste est battu» rappelle que ce qui fait vĂ©ritĂ© pour un sujet, n'est pas vĂ©ritĂ© pour l'institution. Il faut que celle-ci puisse ĂȘtre lue et entendue par l'institution. Or, interroge-t-il aujourd'hui n'est-ce pas la dĂ©textualisation qui renforce une censure», l'activitĂ© d'une institution de soin Ă©tant rabattue effectivement Ă  celle d'un service oĂč priment la question de la gestion des lits et de la file active. Notre travail reste toujours celui d'une lecture des symptĂŽmes cependant et comme il le souligne ce n'est pas en inventant des rĂšgles supposĂ©es adaptĂ©es que pour autant il y aura de l'acte. ...Ça c'est une procĂ©dure de l'action, elle ne permet en rien un acte.» Comment faire avec lui par exemple ? L'institution a pour fonction de traiter le RĂ©el, au travers d'une armature symbolique qui fait supplĂ©ance. Si l'homme reçoit sa dĂ©termination du langage, l'homme en tant qu'il est normal n'est pas libre mais assujetti au symbolique. Et c'est ce travail de nouage qu'il convient de faire. Mais il y rĂ©siste ou n'en veut pas. Bien sĂ»r une part du travail sera dans l'Ă©coute et l'accompagnement des parents, perdus avec ce diagnostic pas clair oĂč se cĂŽtoient tant de termes lĂ©ger mais envahissant, non spĂ©cifiĂ©, normal, supĂ©rieur... Je garde cette indication si prĂ©cieuse du travail de M-C Laznik il faut que je trouve moyen d'ĂȘtre en place de tierce personne au sens oĂč Lacan emploie ce terme dans le sĂ©minaire V pour construire S de A barrĂ©, il faut que j'arrive Ă  donner et mon Ă©merveillement, et ma surprise et mon plaisir»...S de A barrĂ©, donc marquĂ© d'un manque sans quoi il ne peut y avoir de surprise ». B diagnostiquĂ©e autiste de haut niveau 15 ans, me prĂ©cise mon prĂ©nom, c'est l'Ă©criture anglophone», son patronyme est français. HospitalisĂ©e suite Ă  une dispute trĂšs violente avec sa mĂšre. Naissance dans une autre rĂ©gion ma mĂšre dans la mĂȘme maternitĂ© que sa mĂšre. Si ça se trouve j'irai accoucher lĂ -bas moi aussi pour la tradition». SĂ©paration de ses parents quand elle a 2/3 ans. Il est indiquĂ© dans son dossier une acquisition prĂ©coce de la lecture Ă  l'Ăąge de 3 ans. Suivi psychomotricitĂ© j'avais mon Ă©quilibre vraiment nul. Je suis incapable de faire du vĂ©lo, je suis nulle en rollers...». Se met Ă  parler beaucoup de rollers, de la couleur des rollers, du fait que tiens, j'en n'ai pas fait depuis longtemps, en fait je sais pas oĂč ils sont, il faudrait que je les retrouve». AprĂšs vit un an chez mamie avec maman, vers 4/5 ans». Sa mĂšre rencontre un homme. DĂ©mĂ©nagement avec mĂšre et beau-pĂšre, pour mutation professionnelle de celui-ci. PĂšre restĂ© dans la rĂ©gion d'origine. Je lui demande si son pĂšre vit seul non avec une nouvelle compagne, enfin faut que j'arrĂȘte de dire nouvelle, ça fait 6 ans. On s'entend bien, on Ă©coute la mĂȘme musique, Placebo, et...». Me cite pleins de noms d'autres groupes, me parle de musique, de sa chambre, de son MP3... Je reviens avec une nouvelle question au bout d'un moment. Savoir comment ça s'est passĂ© Ă  l'Ă©cole primaire. Suivi psychologue, sans savoir pourquoi je sais pas, je me souviens juste de son nom». AprĂšs suivi CPEA centre psychothĂ©rapeutique enfants ados, suivi 3 œ journĂ©es par semaine, Ă  M pour ĂȘtre prĂ©cise. C'est restĂ© comme ça pendant 2 ans». - Je sais pas ce que j'avais comme problĂšme» - Et maintenant savez-vous ?» - Je serai Asperger» Suivi SESAD au collĂšge, psychologue, psychomotricitĂ© et Ă©ducatrice, puis la famille dĂ©mĂ©nage pour un an dans une autre ville en 4Ăšme. Nouveau dĂ©mĂ©nagement en 3Ăšme en septembre dernier. - Mon dossier MDPH a Ă©tĂ© envoyĂ© quand on est parti de... mais il n'a toujours pas Ă©tĂ© traité». - Vous suivez bien vos affaires!» - Je rĂ©pĂšte ce que ma mĂšre dit. J'aimais bien lĂ -bas, c'Ă©tait bien, moins polluĂ©, la mer plus claire, j'avais pleins d'amis, d'ailleurs mon petit ami actuel est lĂ -bas» - Et en 4Ăšme ? Comment cela s'est-il passĂ© ?» - Rien, enfin 3 hospitalisations pour crise clastique, suite Ă  des disputes avec ma mĂšre». Mais B ne peut rien en dire sinon - j'ai l'impression que je suis incompatible avec ma mĂšre. Moi j'ai pas de compatibilitĂ© d'humeur avec ma mĂšre» - Alors Asperger, asperger, aspergĂ©, vous le prononcez comment » ? - Je suis pas mouillĂ©e, mais j'aime bien l'eau» rigole - Vous en pensez quoi ?» - J'en pense rien, j'ai lu sur ça Je suis nĂ© un jour bleu» de Daniel Tammet, j'ai surtout appris des choses sur la synesthĂ©sie, moi je le suis pas ! Moi je suis nulle en maths, je suis pas synesthĂ©sique ça c'est sĂ»r». Il paraĂźt que si je suis trĂšs bonne en langues, c'est peut-ĂȘtre que je suis Asperger. Je suis archi-bonne». - Vous ne savez pas pourquoi ils ont choisi un prĂ©nom anglophone vos parents ? Ça vous a peut ĂȘtre donnĂ© le goĂ»t des langues, non ?» - Je sais pas». Moi j'adore Ă©crire, j'ai choisi un nom d'auteur Ă  l'anglaise, j'ai remarquĂ© aprĂšs qu'il y avait le dĂ©but de mon nom de famille, faudra que je me fasse Ă©diter, enfin faut dĂ©jĂ  que je finisse une histoire ». - Ca porte sur quoi ?» - Le fantastique, je n'Ă©cris que du fantastique» - Vous m'Ă©cririez quelque chose ?» - J'ai pas de quoi Ă©crire, j'ai juste des vĂȘtements et un doudou» - Vous avez un doudou ?» - Oui Doudou lady, c'est le seul qui n'a pas changĂ© de prĂ©nom de tout le temps oĂč je l'ai eu. Lady je pensais que c'Ă©tait un prĂ©nom, c'est Ă  cause de Lady Gaga. C'est un petit bĂ©bĂ© panthĂšre avec un nƓud rose, les autres je leur change tout le temps de nom. Je retiens pas bien les noms, ah si en fait, le nom de la psychologue je m'en souviens. Ce sont les prĂ©noms, j'arrive pas Ă  les retenir avec les tĂȘtes qui vont avec. J'avais Ă©conomisĂ© pendant longtemps pour me l'acheter. Je me souviens quand j'Ă©tais petite, j'attachais avec un ruban autour du cou et de l'autre cĂŽtĂ© Ă  mon poignet. Comme ça si elle tombait et que je me rĂ©veillais la nuit, je pouvais le rattraper, je dors dans un lit superposĂ©, s'il passe au dessus du lit, je le rattrape ». Du fort/da Ă  sa façon! PrĂ©sence/prĂ©sence plutĂŽt que prĂ©sence/absence, ici ce n'est pas dans la symbolisation que ça se joue, il s'agit plutĂŽt d'une technique. Me dĂ©crit ensuite tous ses lapins, ses autres peluches...Difficile de l'arrĂȘter. - On a du mal Ă  comprendre quand on vous voit comme ça, qu'est-ce-qui fait que vous vous disputez avec votre mĂšre ?» - Je suis pas compatible, comme je vous l'ai dit». Finalement ne restera pas hospitalisĂ©e, les parents, pour des raisons personnelles, demandent la levĂ©e de l'hospitalisation. Alors est-ce une jeune fille Asperger ? Lors de sa prĂ©cĂ©dente hospitalisation, il Ă©tait notĂ© dans le compte-rendu mĂ©dical TED associĂ© Ă  des traits de personnalitĂ© pathologiques». Elle me laissera cependant un dĂ©but de roman, Ă©crit aprĂšs l'entretien que je ne livrerai pas ici mais comme dans l'entretien, elle peut trĂšs vite enfiler les mots, les uns aprĂšs les autres, le ciel, la lune, le soleil
 Est-ce une production imaginaire ? Est-ce juste un exercice de style ? La structure du rĂ©cit Ă©voque le bĂątiment du service. Mon bureau est en bas, les chambres sont Ă  l'Ă©tage, pour dormir. Je retrouve quelques Ă©lĂ©ments de l'entretien, notamment le pĂšre, qu'elle dit ne pas voir souvent. Une suite de chiffres me fait penser Ă  l'auteur dont elle me parlait. Elle a effectivement un peu d'avance aussi. Il ne me reste donc que le texte et cet entretien pour y trouver des points d'appui diagnostiques. RĂ©agit-elle Ă  l'Ă©quivocitĂ© d'Asperger ou finalement est-elle juste prise dans cet enchainement rapide d'un mot qui en suit un autre ? On pourrait presque croire Ă  une quĂȘte hystĂ©rique mais peut-ĂȘtre y manque-t-il les affects, le ton est descriptif, exclusivement. C'est de l'instinct dont il s'agit», dit-elle. Rien d'une production dĂ©lirante, un travail de collage peut-ĂȘtre, des fragments pris ça et lĂ , juste une destinĂ©e Ă©trange» assurĂ©ment. Le nouage Imaginaire/ symbolique n'opĂšre pas, semble-t-il. SĂ»rement un autre moment d'incompatibilité» la fera revenir. Autre rapport Ă  la libertĂ© A, Jeune fille lycĂ©enne, que je reçois, au dĂ©cours d'une hospitalisation, suite Ă  une fugue de plusieurs nuits, pour des raisons qu'elle a du mal Ă  justifier. Je sais pas, je suis partie quelques jours, chez ma copine.» HĂ©bergĂ©e chez une amie majeure vivant seule, meilleure amie, amante, elle rentre sans affect particulier au domicile, comme Ă©tonnĂ©e de l'inquiĂ©tude suscitĂ©e par cela. Est d'accord pour venir, sans demande particuliĂšre au demeurant. Ses parents sont sĂ©parĂ©s depuis plusieurs annĂ©es, ça pose pas de problĂšme» dira-t-elle. Mme en couple avec un autre homme, pĂšre dans une nouvelle union c'est sa life». Assez maniĂ©rĂ©e dans les attitudes, elle ne me semble pas hystĂ©rique cependant. ⁃ Comment ça va» ? ⁃ Ça va toujours». Est-ce dire que ça continue d'aller depuis la derniĂšre sĂ©ance ou bien que ça va toujours, pris dans une intemporalitĂ© radicale. Je ne la vois que depuis peu, certes son corps tout dĂ©braillĂ© malgrĂ© la tempĂ©rature hivernale m'interpelle mais ... Ne serait-ce lĂ  qu'un trait adolescent du traitement de la mĂ©tĂ©o ? Elle Ă©voque ses amitiĂ©s, les nouvelles, les anciennes, les ruptures.... ⁃ C'est le grand mĂ©nage». ⁃ le remue mĂ©nage » ? Je demande. - De toute façon, on va bientĂŽt dĂ©mĂ©nager. Mon pĂšre a achetĂ© une maison tout prĂšs, dans le mĂȘme quartier.» Je reviens sur ses amitiĂ©s, Ă  l'origine de cette fugue, disparition de quelques nuits - J'ai pas envie de m'Ă©taler, je les ai vues en peinture toutes ces histoires. C'est un dossier clos». Mon pĂšre m'a privĂ©e de tĂ©lĂ©phone parce que je suis rentrĂ©e en retard hier. Mon pĂšre il m'a dit me prends pour un idiot. Il est donne la profession de celui-ci, je sais bien qu'il est pas idiot ». Je ne suis pas le genre de personne qui pense Ă  prĂ©venir si elle est en retard, ou qui s'excuse du retard en rentrant. C'est un constat, je suis en retard, pas la peine de le prĂ©venir, il l'aura constatĂ© aussi.»... Je vais pas l'abandonner...comme abandonner de faire un instrument de musique par ex». Puis me parle de ses rĂ©sultats scolaires de ces derniers jours - J'ai pas travaillĂ© plus, ni moins, mais je chute. C'est comme ça» Le Bac, c'est un peu dĂ©goutant». Je me sens au bout du gouffre, j'ai besoin de vacances». Me parle de la difficultĂ© qu'elle a en ce moment - ça m'Ă©nerve d'ĂȘtre Ă  nouveau sensible, avant je m'en foutais complĂštement. En mĂȘme temps, je suis en colĂšre, je suis Ă©nergique.» Évoque alors dans un dĂ©sordre manifeste plein de choses - En 4Ăšme j'ai subi un harcĂšlement, un cyber harcĂšlement aussi». Actuellement j'ai un ami avec qui j'ai des relations sexuelles, c'est pas un petit ami, c'est un partenariat». Cette jeune fille accueillie en atelier thĂ©rapeutique l'an passĂ© avait suscitĂ© exaspĂ©ration, aucune adhĂ©sion au soin, qu'elle ne contestait pas d'ailleurs, aucune empathie, ses comportements Ă©tant jugĂ©s de type hystĂ©rique. Elle jouait la folie pour ceux qui la recevaient. Trop libre, trop dĂ©vergondĂ©e semblait-il. Pas assidue, pas ponctuelle, Ă©parpillĂ©e. Le suivi s'Ă©tait progressivement arrĂȘtĂ© jusqu'Ă  ce que je la reçoive. C'est son apparente dĂ©sinvolture, cette libertĂ© qu'elle prend dans la relation Ă  l'autre qui n'ont pas Ă©tĂ© apprĂ©ciĂ©es, ou si... au contraire apprĂ©ciĂ©es et non pas repĂ©rĂ©es comme des signes cliniques. - Je suis quelqu'un qui traine un peu partout. Ça va bien, j'ai un nouveau copain. L'autre, il m'avait recalé». - RecalĂ© ? - Je sais pas comment dire autrement, recalĂ©e c'est tout. Il m'a refusĂ©e si vous voulez, c'est plus poĂ©tique, comme Apollinaire, je prĂ©fĂšre Verlaine ceci dit». J'ai toujours envie de dormir en ce moment, avant j'Ă©tais presque une ex-addict...». Je suis Ă©moustillĂ©e, ça a divaguĂ© hier». Me parle de sa derniĂšre peine d'amour impossible». Jeune fille sans arrimage, trĂšs free» comme elle aime Ă  me le dire et pourtant... LĂ  aussi cette libertĂ© dont on pourrait la penser maĂźtre, lui cause bien des soucis, la cause dans un rapport aux autres de plus en plus difficile. Certains de ces cas que nous recevons en institution, relĂšvent d'avantage du champ de l'autisme, d'autres de ce qui serait peut-ĂȘtre une forme de schizophrĂ©nie infantile, d'autres sont dans le champ de la psychose infantile, ou d'une psychose non dĂ©compensĂ©e de l'adolescence, tous ont ce rapport particulier Ă  la libertĂ© qu'ils n'ont pas choisi. Cette apparente libertĂ© est dans tous les cas, liĂ©e au dĂ©faut de refoulement. Encore faut-il ne pas ĂȘtre dans le dĂ©ni de l'inconscient. C. Tyszler interrogeait la possibilitĂ© pour un autiste d'accĂ©der au refoulement originaire par le biais du transfert. M-C Laznik indique que la ligne de fracture est bien plus sur le type de clinique Ă  laquelle on est confrontĂ©. Alors peut-ĂȘtre encore, la remarque du pĂšre d'un jeune garçon - psychose infantile - suivi en hĂŽpital de jour, est-elle Ă©clairante. Il est amenĂ© Ă  consulter au Centre de Ressources pour l'Autisme et revient avec un diagnostique d'autisme pour son fils C'est vrai peut-ĂȘtre que des fois il est autiste, mais des fois quand mĂȘme il est vraiment fou.» Pour conclure, je reprends encore Lacan dans son allocution sur les psychoses de l'enfant» est-il loisible ici d'un saut d'indiquer qu'Ă  fuir ces allĂ©es thĂ©oriques, rien ne saurait qu'apparaĂźtre en impasse des problĂšmes posĂ©s Ă  l'Ă©poque.» . 383 539 738 596 564 23 201 631

n est pas fou qui veut lacan